"Le dogme de l'Immaculée Conception : sa pertinence aujourd'hui" — Paroisse de l'Immaculée Conception

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"Le dogme de l'Immaculée Conception : sa pertinence aujourd'hui"

A l'occasion du 150e anniversaire du Dogme de l'Immaculée Conception, en 2004, la paroisse de l'Immaculée Conception avait organisé un colloque. Retrouvez les textes de ce colloque (qui étaient sur l'ancien site internet).

Préface par l’Abbé Xavier Snoëk, vicaire

Introduction
L’Immaculée Conception de Marie ? Un dogme plus que jamais d’actualité !
(Entretien avec l’Abbé Nicolas Delafon,
article paru mi-décembre 2004, dans le journal du doyenné Paris XII)

Colloque historique et théologique
du 4 décembre 2004

Introduction par l’Abbé Hervé Géniteau, Curé

I- Intervention de Madame Marie-Bénédicte Dary,
Liturgie et controverse de l’Immaculée Conception au Moyen Age.

II- Intervention de Monsieur Yves-Marie Hilaire,
La proclamation du dogme de l’Immaculée Conception
dans son contexte historique.

Premières questions.

III- Intervention de l’Abbé Guillaume de Menthière,
Vues théologiques sur le dogme de l’Immaculée Conception.

IV- Intervention de Monseigneur Patrick Chauvet, Vicaire général,
Le dogme : quelles conséquences dans notre vie.

Dernières questions.

Homélie prononcée par l’Abbé Géniteau, curé de la paroisse,
à la Vigile de la Solennité de l’Immaculée Conception 
le mardi 7 décembre 2004.

Homélie prononcée par Monseigneur Michel Pollien,
évêque auxiliaire de Paris, vicaire général,
à la Messe de la Solennité de l’Immaculée Conception
le mercredi 8 décembre 2004 

Préface - Abbé Xavier Snoëk, vicaire

Les textes que vous allez pouvoir lire ont été prononcés dans le cadre de la célébration du 150ème anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception à la paroisse du même nom de Paris XII.

Nous avons voulu leur laisser leur style de l’oral afin de vous permettre de participer peut-être davantage à cette célébration.

Vous trouverez d’abord en guise d’introduction  une interview du Père Delafon, vicaire à la  paroisse, qui nous invite à comprendre les enjeux de ce dogme.

Puis vous pourrez lire les quatre interventions du colloque historique et théologique du samedi 4 décembre. Nous avons voulu répondre dans ce colloque intitulé « le dogme de l’Immaculée Conception, sa pertinence aujourd’hui ? » à une double question : Pourquoi ce dogme n’a été promulgué qu’en 1854  et quel en est son intérêt ?

En effet la fête de la Conception immaculée de la Vierge Marie est apparue au Moyen Age en Angleterre et de là s’est répandue dans toute l’Eglise provoquant bien sûr une recherche théologique importante mais qui finalement va être comme mise entre parenthèses du Concile de Trente jusqu’au XIXe siècle.

Pour nous aider dans ce domaine historique nous avons fait appel à deux historiens : Madame Marie-Bénédicte Dary, docteur en histoire qui a rédigé une thèse sur la liturgie de la fête de l’Immaculée Conception et Monsieur Yves-Marie Hilaire, docteur en histoire, professeur émérite de l’université de Lille,  spécialiste de l’histoire de l’Eglise du XIXe et XXe siècles. Madame Dary va nous montrer l’état d’avancement et même de quasi achèvement de la réflexion au Moyen Age et Monsieur Hilaire comment le Bienheureux Pape Pie IX a  réactivé le sujet à la demande de certains évêques dans un contexte de dévotion mariale développée en consultant tous les évêques du monde pour aboutir au texte de la proclamation officielle du dogme. Nous remercions au passage Mademoiselle Marielle Lamy, docteur en histoire, qui nous a aidé comme Monsieur Hilaire à l’élaboration de cette 1ère partie historique du colloque.

Mais il nous faut aussi bien évidemment regarder le contenu du dogme et c’est ce que va faire le Père Guillaume de Menthière, Curé de la paroisse Saint Jean-Baptiste de la Salle (XVe), par son exposé, et son intérêt dans notre vie spirituelle. Ce que va faire Monseigneur Patrick Chauvet, Vicaire général,  avec son humour habituel que nous restituons dans cet écrit.

La célébration de la fête proprement dite qui avait été préparée par une neuvaine de prière a compris le mardi soir des Vêpres célébrées dans la chapelle des Filles de la Charité, rue de Reuilly où a vécu 47 ans Sainte Catherine Labouré au service des vieillards de l’hospice d’Enghien fondé par la duchesse de Bourbon en mémoire de son fils le duc d’Enghien, fusillé non loin de là au fort de Vincennes sur les ordres de Napoléon Bonaparte.

Après les Vêpres nous sommes partis en procession jusqu’à l’église de l’Immaculée Conception pour les vigiles de la fête. Vous pourrez  lire après les actes du colloque l’homélie prononcée à ces vigiles par l’Abbé Hervé Géniteau, Curé de notre paroisse.

Nous avons voulu marquer par  cette célébration partant de la rue de Reuilly notre reconnaissance à l’intervention de Sainte Catherine Labouré auprès du chanoine Olmer, premier Curé de la paroisse, pour le choix du vocable de notre église.

Vous pourrez enfin en guise de conclusion lire l’homélie de la messe de la fête prononcée par Monseigneur Michel Pollien, évêque auxiliaire de Paris.  Cette messe à laquelle assistaient de très nombreux paroissiens ainsi que les équipes Notre Dame du secteur et bien d’autres fidèles ainsi que les curés des paroisses voisines avait été précédée par les Vêpres solennelles animées par les religieuses et les religieux de la paroisses rassemblés dans le chœur ainsi que la chorale paroissiale.

Nous espérons que ce recueil contribuera à graver dans  la mémoire de ceux qui y ont participé le souvenir de cette belle fête mais aussi qu’il aidera tous ceux qui le liront à comprendre la signification de cet anniversaire. Le Pape Jean-Paul II avait tenu d’ailleurs à en souligner l’importance tant par sa participation au pèlerinage de Lourdes le 15 août 2004, malade parmi les malades que par  sa bénédiction apostolique à tous les participants à la messe du 8 décembre 2004 en notre église paroissiale de l’Immaculée Conception de Paris.

Introduction
L’Immaculée Conception de Marie ?
Un dogme plus que jamais d’actualité !
Article paru mi-décembre 2004,
dans le journal du doyenné Paris XII

Quand une paroisse entière honore et fête sa Sainte Patronne, surtout si cette dernière est la Mère du Sauveur, l’événement promet d’être d’importance. C’est ce que put mesurer chaque paroissien de l’ Immaculée Conception pendant l’octave qui précéda la commémoration, le 8 décembre, du 150ème anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception de Marie par le Pape Pie IX. De la récitation du chapelet, animé par différentes équipes, au  colloque théologique présidé par Monseigneur Chauvet, en passant par le concert de Patrice Martineau, la procession mariale aux flambeaux ou les vêpres célébrées avec tous les religieux et religieuses du quartier, tout fut mis en œuvre pour que chacun vive avec une intensité particulière la messe solennelle du 8 décembre présidée par Mgr Pollien et le dîner paroissial qui la suivit.
        

Mais, pour mieux comprendre le sens et la portée de cet événement, revenons quelques siècles en arrière… Savez-vous, en effet, que dès 1708, soit près de deux-cent-cinquante ans avant la proclamation officielle du dogme par Pie IX, le Pape Clement XI institua la fête de l’Immaculée Conception pour l’Eglise Universelle ? Que cette croyance en l’Immaculée Conception remonte à plus de 12 siècles ou que, dès 1617, Paul V interdit de proclamer en public une opinion défavorable à l’Immaculée Conception ? C’est donc dire si ce dogme est un enjeu d’importance pour chaque chrétien d’hier comme d’aujourd’hui et c’est ce que le Père Nicolas Delafon, vicaire à la paroisse de l’Immaculée Conception, a accepté de nous expliquer.

Paris XII : En quoi consiste, exactement, le dogme de l’Immaculée Conception ?
Père Nicolas Delafon : Pie IX, dans sa bulle Ineffabilis Deus qui proclame le dogme de l’Immaculée Conception, déclare que « la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel ». Cela signifie que Marie est vraiment femme, tout comme Jésus est vraiment homme. Elle a été conçue dans le sein d’Anne. Elle a connu la condition humaine. Toutefois, elle a bénéficié d’une conception ‘immaculée’, c’est-à-dire ‘sans tache’. Cela l’éloigne-t-elle de nous, qui sommes pécheurs ? Non, car nous espérons être délivrés du péché. Elle est ce que nous aspirons à être et que nous devenons par la grâce de Jésus-Christ.

Paris XII : Cela veut-il dire que Marie n’a pas eu besoin d’être sauvée ?
Père Nicolas Delafon : Pas du tout ! La bulle Ineffabilis Deus précise même qu'elle a été sauvée, au contraire, d'une manière particulièrement admirable (« sublimiori modo »), en raison de son lien étroit avec le Christ Sauveur. Pour mieux comprendre cela, Thérèse de l’Enfant Jésus recourt à une image dans ses Manuscrits autobiographiques. Elle ne trébuchait pas, dit-elle, non parce qu’il n’y avait pas de pierres sur sa route mais parce que le Seigneur passait devant elle pour les lui retirer… De même, Marie, préservée du péché, n’est pas à côté de l’humanité sauvée par le Christ. Elle bénéficie d’une grâce par anticipation. Pour nous sauver, Jésus-Christ a voulu prendre réellement chair dans le corps d’une femme afin d’être semblable à nous en toutes choses à l’exception du péché. Cette femme, Marie, est donc conçue sans péché pour être la demeure de son Fils. En elle, le Christ est totalement origine : Il est la source absolument première et unique. Par son Immaculée Conception, la Vierge Mère atteste ainsi que l’humanité est enracinée dans le Christ Sauveur avant de l’être dans l’Adam pécheur.

Paris XII : Donc ce dogme de l’Immaculée Conception peut être ainsi chemin d’Espérance pour l’homme moderne ?
Père Nicolas Delafon : Bien sûr, d’abord parce que tout dogme, lumière pour l’homme de foi, est également un don de l’Eglise à l’humanité. Avec la proclamation de l’Immaculée Conception de Marie, tout baptisé peut désormais s’appuyer sur cette proclamation pour sa vie dans la foi. Tout homme peut également scruter ce mystère. Par ailleurs, l’actualité d’un dogme tient dans la réalité qu’il dévoile et qui demeure. Or, que révèle l’affirmation dogmatique selon laquelle Marie a été préservée du péché originel ? Contrairement aux apparences souvent trompeuses, l’humanité est sauvée. Elle peut, bien sûr, encore passer par de multiples obscurités mais, en la personne de Jésus et de sa mère,  l’humanité est pleinement accomplie. En Marie, une humanité nouvelle surgit au pied de la croix, arbre de vie : une humanité délivrée du péché et du mal. Cette nouveauté naît du mystère de mort et de résurrection de Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Dans nos sociétés christianisées, nous vivons déjà de ce mystère. Nous sommes appelés à en vivre toujours davantage.

Paris XII : L’Eglise, en particulier le pape Jean-Paul II dont la piété mariale est bien connue, nous invite souvent à prendre Marie pour modèle. Qu ‘est-ce que cela veut dire exactement ?
Père Nicolas Delafon : Marie met chacun sur le chemin de l’accueil d’un don qui le dépasse. Par son Immaculée Conception, Marie accueille totalement le mystère du Salut. Son mérite tient dans cet accueil humble et manifesté dans sa parole à l’ange Gabriel : «  Voici, la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc., 1, 38). Elle est également la femme par excellence, l’Eve nouvelle et la Mère des vivants. A l’origine, Dieu, voyant la solitude d’Adam, déclare : Il n’est pas bon que l’homme soit seul (Genèse, 1, 18). Il fait à l’homme le don d’un vis-à-vis, la femme. Le péché originel vient troubler la relation voulue par Dieu entre Adam et Eve. En la personne de Jésus et de sa mère, l’être humain dans sa différence sexuée est accompli. Jésus trouve, en Marie, le vis-à-vis féminin que l’humanité tout entière attendait. Enfin, Marie est un modèle par la question qu’elle pose à l’ange : comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? (Luc 1, 34). Il n’est jamais interdit de poser une question à Dieu. Au contraire, dans l’Ecriture, des questions font davantage entrer dans le mystère de Dieu et de son dessein bienveillant. La vie de Marie n’est exempte ni de choix volontaires ni de questions. Elle y répond en accueillant pleinement le mystère du Père livré dans le Fils conduit par l’Esprit. Marie nous met sur le chemin d’une croissance dans la foi, qui chez elle est harmonieuse. Elle éprouve cette joie unique d’une volonté qui se porte sans retard et sans hésitation vers son bien.

Paris XII : Quel peut être le lien entre le dogme de l’Immaculée Conception et le Mystère de Noël ?
Père Nicolas Delafon : A Noël, nous confessons que le Fils s’est fait homme en toutes choses à l’exception du péché. Cette humanité, celle de Jésus, se cherche une demeure digne de son Nom au-dessus de tout nom. Marie est ce sanctuaire. Elle ne l’est pas par ses propres forces mais en vertu d’une grâce qui lui vient des mérites de son Fils. Marie accueille cette grâce dans la foi. Elle nous invite, à sa suite, à un acte de foi. Par conséquent, nous célébrons à Noël le mystère de Jésus et de sa Mère, première Eglise.

Propos recueillis par Monique Leveau-Cazard

                                     REPERES POUR MIEUX COMPRENDRE

Dogme : Vérité de foi contenue dans la Révélation divine ou ayant avec elle un lien nécessaire proposée par le Magistère à l’adhésion des fidèles.

Bulle : Lettre du Souverain Pontife rédigée en forme solennelle et scellée soit d’une boule de métal (du latin bulla),  soit d’un cachet de cire.

Immaculée Conception :  Rachat de Marie dès sa conception, ce qui signifie que Marie est conçue sans être marquée par le péché.

                                               A ne pas confondre avec :

Conception virginale de Jésus : Conception de Jésus par la seule puissance du Saint-Esprit dans le sein de Marie, ce qui signifie à la fois l’impuissance de l’humanité à se sauver seule sans l’intervention de Dieu, et le refus de Dieu de sauver l’homme sans sa collaboration. 
 

Colloque historique et théologique
du 4 décembre 2004

Introduction par l’Abbé Hervé Géniteau, Curé

Je vous propose que nous commencions notre après-midi pour ne pas prendre trop de retard sur l’horaire qui est prévu. Permettez-moi d’abord comme curé de la paroisse de vous accueillir tous, d’abord un certain nombre de paroissiens bien connus et puis d’autres personnes qui ont entendu parler de ce colloque de cet après-midi et qui ont bien voulu se joindre à nous.

Il était normal que dans une paroisse dédiée à l’Immaculée Conception nous puissions célébrer de manière toute particulière le cent cinquantième anniversaire du dogme ; et vous le savez, nous achèverons ces fêtes par la célébration solennelle de la messe le 8 décembre, c’est-à-dire mercredi prochain.

Les historiens et les théologiens qui vont intervenir cet après-midi vous le diront beaucoup mieux que moi, mais je voudrais juste rappeler, vous le savez, que c’est le 8 décembre 1854 que le pape Pie IX proclame comme dogme de foi l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, et dans la bulle Ineffabilis Deus que je vais citer un petit peu, il définit précisément quelle est la foi catholique concernant l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. Il écrit : « Au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ Sauveur du genre humain, Marie a été préservée intacte de toute souillure du péché originel. » C’est cela que nous voulons dire lorsque nous affirmons, et c’est notre foi, que Marie est Immaculée Conception.

Si vous avez suivi le voyage du Saint Père à Lourdes cet été, le Pape a anticipé le cent cinquantième anniversaire du dogme et il a célébré, le 15 août dernier, une Messe solennelle dans laquelle il a mis en valeur le privilège de la Mère de Jésus, et je voudrais faire une citation aussi du Pape Jean-Paul II dans l’homélie du 15 août qui, me semble-t-il, résume aussi ce que nous entendons par le terme Immaculée Conception. Le Pape disait : « La conception immaculée de Marie est le signe de l’amour gratuit du Père – vous allez voir, la formule du Pape est trinitaire –, elle est l’expression parfaite de la rédemption accomplie par le Fils, et elle est le point de départ d’une vie totalement disponible à l’action de l’Esprit. » Signe de l’amour du Père, expression du salut qui nous est donné par le Fils, et point de départ d’une vie qui se veut disponible à l’action de l’Esprit-Saint.

L’Evangile que nous lirons le 8 décembre prochain, que nous lisons tous les ans lorsque nous célébrons la fête de l’Immaculée Conception, c’est l’évangile de l’Annonciation, qui nous met sous les yeux précisément cette disponibilité totale de la Vierge Marie à l’action de Dieu, avec, nous le savons bien, cette phrase de la Vierge Marie : « Je suis la servante du Seigneur, que tout se fasse pour moi selon ta parole. » (Lc 138) Marie totalement disponible à la volonté de Dieu ; rien ne s’oppose en Marie à ce que s’accomplisse en elle la volonté du Père.

Célébrer la fête de l’Immaculée Conception, même si c’est un privilège que Dieu donne à la Vierge Marie, nous dit, malgré tout, ce vers quoi nous allons. Célébrer l’Immaculée Conception nous dit qu’un jour, comme la Vierge Marie, nous serons totalement libérés du péché, ce qui veut dire, et c’est important, me semble-t-il, pour notre propre vie spirituelle, que nous avons dans la célébration même de cette fête, un grand signe d’espérance pour nous : un jour, nous serons libérés du péché, nous ne sommes pas faits pour vivre pour toujours dans le péché : source d’espérance pour chacun de nous que cette Fête de l’Immaculée Conception. Et il me semble que la Préface de la Messe du 8 décembre va dans ce sens-là. Elle nous dit, s’adressant à Dieu : « Tu as préservé la Vierge Marie de toutes les séquelles du premier péché, et tu l’as comblée de grâce pour préparer à ton Fils une mère vraiment digne de lui ; en elle [donc dans cette Vierge immaculée] tu préfigurais l’Eglise, la fiancée sans ride, sans tache, resplendissante de beauté ». Voilà, il me semble que cela résume d’une autre manière ce que nous célébrons lorsque nous célébrons l’Immaculée Conception de la Vierge Marie.

Dans notre après-midi, il y aura deux parties : d’abord une partie historique, et je remercie Madame Dary et Monsieur Hilaire, qui sont déjà arrivés, qui vont vous faire deux exposés au plan historique concernant le dogme de l’Immaculée Conception. Madame Dary a soutenu une thèse sur la liturgie de l’Immaculée Conception au XIIe et au XIIIe siècles, et Monsieur Hilaire est spécialiste de l’histoire du XIXe siècle. Donc d’abord une approche historique, et puis ensuite nous aurons après quelques questions un temps de pause et nous aurons une deuxième partie dans notre après-midi : deux théologiens, le Père Guillaume de Menthière et Monseigneur Patrick Chauvet, qui viendront nous donner une approche plus théologique du dogme de l’Immaculée Conception.

Il faudrait que cet après-midi nous aide à entrer dans une meilleure compréhension du dogme de l’Immaculée Conception, dont nous avons, au moins intuitivement, le sentiment qu’il est décisif par rapport à notre foi chrétienne, et peut-être cela nous permettra-t-il de le célébrer avec une intelligence de la foi plus grande encore le 8 décembre prochain, dans quelques jours.

Maintenant je vais vous laisser la parole, mais je vous propose que nous placions notre après-midi précisément sous la protection de la Vierge Marie, qu’ensemble nous puissions chanter, en nous levant si c’est possible, Je vous salue Marie, pour confier notre après-midi à la Vierge.

Chant du Je vous salue Marie, suivi de la triple invocation « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »

I- Intervention de Madame Marie-Bénédicte Dary
Liturgie et controverse de l’Immaculée Conception au Moyen Age

« La Vierge Marie ?... La plus belle promotion du Moyen Age ! » s'exclamait, au cours d'un séminaire de recherche, il y a une dizaine d’années, Jacques Le Goff. La fête du 8 décembre, ou fête de l’Immaculée Conception en est une parfaite illustration…

L’Immaculée Conception en tant que telle n’existe pas au Moyen Age. Le terme d'immaculata s'applique toujours jusqu’au XIIe siècle à la virginité de Marie, jamais à sa conception.  L’expression «conception immaculée » n’apparaît que tardivement : c’est saint Bonaventure qui, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l’emploie le premier. Et encore au XVIIe siècle, l’utilisation de l’expression « Immaculée Conception » est prohibée par le Saint-Office. La liturgie parle de « fête de la conception de la Vierge » quand la théologie s’inquiète de savoir comment et pourquoi au moment de sa conception la Mère Dieu n’a pas été contaminée par la faute originelle ou comment elle en a été purifiée. Le Moyen Age n’a pas toujours célébrée cette solennité et le sens qu’il lui a donné fut différent selon les époques et selon les lieux.

Le choix de la date du 8 décembre s’est imposé de lui-même. En effet depuis le pontificat de Serge 1er, à la fin du VIIe siècle, l’Occident chrétien honore le 8 septembre la nativité de Marie, c’est-à-dire qu’il fête la sainteté de la Vierge non au terme de son existence terrestre, ce qui est le cas des saints, mais dès le début. Quand il s’est agit de solenniser les tout débuts de sa vie utérine, l’Occident a naturellement choisi la date du 8 décembre, neuf mois avant sa naissance. Ce faisant, il a supposé que la conception de la Vierge était sainte. On ne fête pas le péché…

L’Occident chrétien commence donc à solenniser le 8 décembre dès le milieu ou la seconde moitié du XIe siècle, en Angleterre quand l’Orient fête la Vierge le 9 décembre depuis la fin du VIIe siècle ou le début du VIIIe. La réflexion dogmatique suit la pratique liturgique, il ne la précède pas. La querelle théologique qui débute avec l’intervention de saint Bernard aux chanoines de Lyon, vraisemblablement en 1139, est postérieure d’environ quatre-vingt ans de ces premiers témoignages.

La question centrale que doivent résoudre à la fois les promoteurs de la fête, les canonistes, les théologiens et plus généralement les auteurs ecclésiastiques est la question de l’autorité. Comment l’Eglise peut-elle accueillir une innovation au sein de la Tradition ? Comment accepter cette fête alors que les Ecritures n’en parlent pas et que les Pères de l’Eglise sont muets sur le sujet ? Cette question de l’autorité se double d’un problème théologique. Comment et pourquoi la Vierge a-t-elle pu ne pas être touchée par le péché originel alors qu’il se transmet de façon quasi génétique  selon les conceptions du XIIe siècle ? Comment et pourquoi le Christ a-t-il pu la racheter alors même que la Rédemption n’avait pas eu lieu ?

Trois moments sont essentiels pour comprendre à la fois le sens de la fête à partir du Moyen Age central et les tâtonnements théologiques pour justifier ce sur quoi la Tradition de l’Eglise n’apporte alors aucune réponse. Il y a tout d’abord le moment strictement liturgique de l’introduction de la fête en Occident du milieu du XIe siècle au milieu du XIIe siècle. S’ensuit les débats à propos de cette nouvelle solennité inaugurés par saint Bernard à partir du milieu  du XIIe. Enfin, le troisième moment, au tournant XIIIe - XIVe siècle, initié par saint Bonaventure et poursuivi par les franciscains est fondamental pour l’avancée de la croyance. 

L’introduction de la fête en Occident
(milieu XIe – première moitié du XIIe siècle) :

Il est établi que l’Angleterre est la terre d’Occident qui, la première, dès le milieu ou la seconde moitié du XIe siècle, a accueilli une solennité implantée en Orient depuis la fin du VIIe ou le début du VIIIe siècle. Le transfert s’est-il effectué grâce à des Anglais ayant fait le pèlerinage de Jérusalem ? C’est une hypothèse. Sur trois calendriers en provenance du sud de l’Angleterre qui célèbrent  le 8 décembre la Vierge on peut lire : « Conceptio Sancte dei genitricis Mariae ». Ils utilisent tous exactement la même formule. L’un d’entre eux a été sûrement rédigé vers 1060, donc la fête a été introduite au plus tard à cette date.

Si l’on ignore encore de quelle façon la solennité s’est introduite dans les Iles britanniques, il est en revanche assez clairement établi qu’à la faveur de la conquête par Guillaume, duc de Normandie, de l’Angleterre et grâce aux liens privilégiés qui s’établissent alors entre abbayes insulaires et abbayes normandes, la fête de la Conception a pu franchir la Manche et s’implanter sur le continent. La bibliothèque du Havre conserve ainsi un missel qui a été réalisé vers 1120 dans l’abbaye de Winchester et qui contient une messe de la Conception selon le rite anglais du missel de Léofric. Cette messe se retrouve à l’identique dans un sacramentaire du Mont-Saint-Michel de la première moitié du XIIe siècle.

Sans qu’on puisse établir de lien avec la Normandie, Lyon et la Bourgogne semblent avoir été un autre pôle de diffusion de la solennité. Nous avons conservé un libellus de l’office Gaude mater ecclesie qui est l’office propre de la fête du 8 décembre. Il a été rédigé à Lyon et après avoir voyagé a fini ses jours comme page de garde d’un ouvrage de théologie de Pierre Damien qui ne concerne en aucune manière la solennité. Ce manuscrit pourrait être contemporain de l’intervention de saint Bernard et pourrait même avoir motivé sa colère. Il n’était guère favorable à cette fête, mais voici que Lyon se met à diffuser la solennité…

La question de l’autorité est sous-jacente dans les manuscrits, même si la liturgie n’est pas le lieu de la réflexion théologique. En tête de la messe de Léofric, on lit : "Dieu, qui par la prophétie de l'ange as prédit à ses parents la conception de la bienheureuse vierge Marie ..."[1] . Il s'agit d’une allusion au Protévangile de Jacques qui est un récit apocryphe de l’enfance de la Vierge et du Christ, assez populaire en Orient dès le IVe siècle. Il rapporte ainsi que les parents de la Vierge se désolaient d'être stériles, que Dieu entendit leurs lamentations et leur donna la joie de concevoir un enfant malgré leur grand âge. Or si Dieu as prédit la conception de la Vierge n’est-ce pas parce que cet événement était saint ?

Le même procédé consistant à faire intervenir un ange pour doter de la plus haute autorité, celle de Dieu lui-même, l’événement que l’on fête ou que l’on veut voir célébrer, se retrouve dans le récit de la légende d’Elsin. On raconte en effet qu'Elsin, abbé de Ramsey, envoyé par Guillaume le Conquérant négocier la paix avec le roi du Danemark, fut pris à son retour dans une effroyable tempête. Ses compagnons d'infortune et lui-même se mirent alors à prier, invoquant la Vierge Marie. Ils en étaient à confier leurs âmes à Dieu quand soudain apparut dans la voilure un ange  vêtu des habits d'évêque qui demanda au pieux abbé s'il désirait sortir vivant de cette tempête. Ce dernier ayant répondu par l'affirmative, l'ange lui ordonna de s'engager le jour du 8 décembre à célébrer la conception de Marie et lui recommanda d'utiliser l'office de la Nativité de la Mère de Dieu en remplaçant nativitas par conceptio. La notoriété de ce miracle qui se situe après la conquête de l'Angleterre, ne fait aucun doute. Nous en possédons encore plusieurs versions recopiées sur quelques dizaines de manuscrits. On le trouve parfois dans les leçons de l'office des matines du 8 décembre. Ce miracle que j'appelle un miracle de propagande, dans la mesure où il poursuit un but précis : favoriser, propager le culte de sainte Marie, accorde la bénédiction divine à tous les fervents propagateurs de la fête du 8 décembre. Comment ne pas solenniser sa conception puisque c'est le désir de la Vierge, puisque c'est sa volonté ?

Mais l’argumentation fondée sur révélations privées ou des textes non-canoniques ne pouvait satisfaire un homme tel que Bernard de Clairvaux.

Saint Bernard et les débuts de la controverse (vers 1139 – fin du XIIIe siècle)

En 1139 vraisemblablement, saint Bernard, scandalisé du fait que les chanoines de Lyon se sont mis à fêter la conception de la Vierge le 8 décembre, leur écrit ces mots : « C’est une fait que parmi les églises de France, l’église de Lyon prédomine à ce jour tant par la dignité du siège et la qualité de ses études que par des institutions dignes d’éloge […] C’est pour cela que nous sommes un peu étonné qu’aujourd’hui il ait paru bon à certains d’entre vous de vouloir changer cette excellente apparence, en introduisant une nouvelle célébration que le rite de l’Eglise ignore, que la raison n’approuve pas, que l’ancienne tradition ne recommande pas. Est-ce que nous sommes en quelque chose plus savants ou plus dévots que les Pères ? […] D’ailleurs sous aucun prétexte ne paraît bonne à l’encontre de la Tradition de l’Eglise une nouveauté présomptueuse, mère de la témérité, sœur de la superstition, fille de la légèreté. » Le ton est vif, les arguments qu’il avance plus loin sont solides, la polémique est lancée. La grande querelle de l’Immaculée Conception qui débute avec cette Epistola ad canonicos Lugdunenses, va durer tout le Moyen Age et même au-delà.

Ce témoignage de Bernard de Clairvaux est capital parce que c’est le premier témoignage non liturgique de la fête, parce qu’il provient d’un personnage aussi écouté et respecté que lui et qu’au siècle suivant on se sert de cette lettre comme argument d’autorité.

L’argumentation du saint abbé de Clairvaux se fonde d’abord sur le fait que la Tradition ignore la fête et sur le fait qu’au moment de la conception, à cause de la concupiscence, le péché originel souille inévitablement l’enfant. Le péché originel se transmet ainsi de génération en génération. Et la Vierge Marie ne saurait échapper à cette loi commune. Cette pensée est tributaire de celle de saint Augustin sur le péché originel. Cependant saint Bernard introduit une avancée de taille dans la doctrine. En effet, traditionnellement, on pensait que c’était seulement à l’Annonciation que par l’opération du Saint-Esprit toute trace de péché avait été effacée de la Vierge, Bernard de Clairvaux suppose cette opération in utero, avant même sa naissance. La doctrine de la sanctification est née.

Cependant, quelques temps auparavant, un autre moine, Eadmer de Canterbury, avait soutenu l’opinion contraire accordant à la Vierge le privilège d’avoir été dès la conception préservée du péché originel. En effet écrit-il « Dieu l’a pu à l’évidence, et il l’a voulu ; si donc il l’a voulu, il l’a fait[2] ». Dieu pouvait préserver la Vierge de la contamination  et comme il voulait que l’édifice qu’il se bâtissait soit parfait, sans jamais avoir été tenue sous la domination diabolique, il l’a fait.

Par la suite, la difficulté des tenants de la préservation est de montrer comment Dieu s’y est pris pour qu’une génération sexuée n’entraîne pas la transmission du péché originel : Anne et Joachim n’auraient-il pas pu s’unir sans que fatalement la libido s’en mêle ? Mais cela semblait contre nature d’imaginer une union charnelle sans plaisir… N’y aurait-il pas existé transmise de mâle en mâle une particule intacte depuis Adam qui serait venue fournir la semence et la matière du corps de Marie… ? Autre possibilité : puisque c’est la chair qui est conçue en premier et que c’est elle qui souille l’âme au moment de son infusion dans le corps, aux environs du quarantième jour, Dieu ne pouvait-il avant même cette infusion purifier le corps pour qu’il ne souille pas l’âme de la Vierge… ? En outre pourquoi Dieu aurait-il fait cela ? Comme future mère de Dieu, il convenait que Dieu se prépare une demeure sans tache digne de lui.

Deux doctrines s’affrontent donc qui donnent naissance à deux grands courants liturgiques. Soit on continue de considérer à la suite d’Eadmer que la Vierge a été préservée du péché originel auquel cas, on célèbre la fête de la conception selon son rituel propre, par exemple l’office Gaude mater ecclesie, soit on considère qu’effectivement la Vierge n’a pu pour les raisons invoquées plus haut qu’être purifiée de la tache originelle, sanctifiée avant sa naissance et on utilise le rituel de sa Nativité se contentant de changer le mot nativitas par conceptio. C’est ce que propose de faire Alexandre Neckam  qui fut étudiant puis professeur à Paris, dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques[3] emboîtant le pas à saint Bernard. De façon certes commode mais assez artificielle, il propose de conserver la date du 8 décembre qui est celle de la conception charnelle, pour honorer la conception spirituelle qui a lieu après l’infusion de l'âme. Les deux types de liturgies se diffusent parallèlement reflétant les deux doctrines.

Au XIIIe siècle, la tension entre les deux doctrines trouve un écho dans la liturgie. Ainsi à l’abbaye de Fécamp, entre les livres de la messe utilisés au XIIe siècle et ceux du XIIIe, on a supprimé la préface. Or, on y trouvait notamment l’expression suivante : « Tu l'as sanctifiée avant le commencement[4], avant la conception tu l'as couverte (= protégée) sous l'action du Saint Esprit et par les vertus les plus hautes"[5]. Ce faisant on a retiré de la messe le seul élément nettement immaculiste… Ailleurs, on substitue au sein d’une même abbaye un rite à l’autre, d’une messe ou d’un office propre à la fête donc plutôt immaculiste, on passe à un rite de type Nativité donc reflétant la doctrine de la sanctification. Ce sont des formes d’autocensure.

L’apport franciscain (fin du XIIIe – début du XIVe siècle)

La difficulté à laquelle se heurte la doctrine de la préservation originelle tient également au fait que toutes les grandes « autorités » du XIIIe siècle adoptent la doctrine de la sanctification : Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin, Bonaventure, etc.

Cependant, saint Anselme au tournant du XIIe – XIIIe siècle avait développé une nouvelle façon d’envisager la faute et se transmission. Cette doctrine s’impose au XIIIe siècle et remplace celle de saint Augustin. On ne pense plus que la transmission du péché se fasse de façon quasi biologique. Cette avancée doctrinale ne concerne pas directement la Vierge. Cependant, le postulat selon lequel Marie ayant été engendrée naturellement ne pouvait qu’avoir contracté le péché originel, ce postulat ne tient plus.

Entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe, toute une lignée de docteurs franciscains s’appliquent à démontrer que la doctrine de la préservation originelle est la seule digne de la mère de Dieu : Guillaume de Ware et surtout Jean Duns Scott. Ce dernier développe l’argument du « parfait médiateur ». Non seulement le rôle du Christ en tant que sauveur n’est pas amoindri par la place particulière de la Vierge, mais encore l’acte de médiation du Christ est encore plus parfait quand il s’agit de préserver plutôt que de racheter. François de Meyronnes ajoute que la Vierge est comme une impératrice et le Christ, comme empereur ne lui a pas appliqué la loi commune, celle du péché qui est la nôtre.

Du côté de la liturgie, la fête se répand en France, mais le Sud reste encore assez à l’écart de la solennité. Entre la fin du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle, les Ordres monastiques les uns après les autres inscrivent la fête dans leur calendrier. Il est difficile de savoir ce que réellement Bonaventure pensait de cette fête. Cependant, devenu général des Franciscains, il a accueilli favorablement au chapitre de Pise de 1263 l'adoption par l'ordre tout entier de la fête[6]. Autre exemple manifeste d’un changement de position et d’une évolution des attitudes face à la fête : en 1356, au Chapitre général des Cisterciens, il est décrété que toutes les communautés monastiques célèbreraient la fête avec messe et office en adaptant la liturgie de la Nativité.

Le concile de Bâle, en 1439, qui définit la doctrine immaculiste dans des termes très voisins de ceux de la bulle Ineffabilis Deus de 1854, a cherché à étendre à toute l’Eglise la célébration du 8 décembre. Mais ce concile fut déclaré schismatique et ses décisions non recevables. Alors que les objections majeures à l’attribution du privilège à la Vierge sont levées, il faut donc attendre plus de quatre siècles pour que l’Eglise romaine proclame le dogme de l’Immaculée Conception.

La controverse a pour toile de fond la liturgie et il existe un dialogue constant entre théologie et liturgie : le vieil adage selon lequel la loi de la prière est la loi de la foi (lex orandi, lex credendi) est confirmé. Pourquoi tant de temps  pour parvenir à une définition acceptée mais pas généralisée de la préservation originelle ? Remarquons que ce ne sont que d’assez obscurs théologiens contre toutes les autorités des XIIe et XIIIe siècle qui défendent le privilège marial. L’historien peut constater que comme les hérésies des premiers siècles de l’Eglises ont permis de préciser la pensée sur la double nature du Christ, la controverse de l’Immaculée Conception au Moyen Age a permis d’élaborer une véritable doctrine de la préservation originelle. L’Orient n’a pas connu de querelle théologique à propos de l’Immaculée Conception et le développement de sa doctrine est moindre aujourd’hui encore.

Abbé Hervé Géniteau : Je vous remercie, Madame Dary, de nous avoir dressé le tableau de l’apparition de la fête du 8 décembre et de la controverse médiévale, et de nous avoir montré comment, peu à peu, la foi de l’Eglise se précise. Je vais laisser la parole maintenant pour la deuxième partie du colloque et vous poserez des questions et on fera une pause après Monsieur Yves-Marie Hilaire, qui va vous parler du contexte historique au XIXe siècle à l’époque de la proclamation du dogme.

II- Intervention de Monsieur Yves-Marie Hilaire

Merci Monsieur le Curé. Le terrain a été bien déblayé avec tout ce que je viens d’entendre, et je crois que ma tâche va être grandement facilitée car cette histoire du XIXe siècle est une histoire assez riche et assez complexe.

Auparavant, en écoutant Madame Dary, j’ai été frappé d’une chose. Elle a fort bien esquissé, comment, dans l’Eglise catholique, la doctrine se développait. Or je suis étonné de voir la parution d’un livre récent qui nie pratiquement tout développement doctrinal, celui de Jacques Duquesne sur Marie. J’ai fait assez d’histoire ancienne au cours de mes études pour savoir comment l’histoire ancienne se construit, ce qui n’a pas l’air d’être le cas de ce journaliste qui a écrit peut-être un peu vite. Les sources, certes, sont moins nombreuses en histoire ancienne, ce qui ne les empêche pas d’être souvent fiables. Et, contrairement à un discours trop répandu, elles sont plus nombreuses qu’on ne le croit sur les origines chrétiennes par rapport à d’autres domaines. J’en veux pour preuve, d’ailleurs, le livre admirable qui vient de paraître dans la collection Folio Gallimard, collection grand public, sur Les premiers temps de l’Eglise, qui est dirigé par Marie-Françoise Baslez. Ce qui est grave, justement, dans le livre de Duquesne, c’est l’utilisation de l’appareil critique sur lequel le Père Sesboué dit ceci : « son livre est le fruit, apparemment, d’une réelle érudition (cinquante-sept pages de notes pour cent-soixante dix pages de textes), et peut faire illusion, mais celle-ci est assez superficielle. L’auteur tire de l’information partout où il la trouve sans trop se préoccuper du contexte ni de l’opinion de l’auteur qu’il cite. En fait, l’ouvrage est le fruit d’une demi-science, c’est-à-dire que les arguments retenus et proposés vont tous dans le même sens. On y sent la plaidoirie de l’avocat, qui met soigneusement en veilleuse tout ce qui contredit sa thèse, et monte en épingle tous les arguments favorables. » Cet apparat critique important, qui m’a frappé, qui m’a inquiété, est extrêmement trompeur ; il fausse entièrement les perspectives par les partis-pris idéologiques qui le sous-tendent.

D’autre part, je voudrais aussi dire, comme historien des idées et de la théologie, que la Bible fonctionne comme le récit de la révélation de Dieu dans l’histoire du monde. De la création à l’irruption du Fils de Dieu en passant par la donation de la Loi à Moïse sur le Sinaï (ce texte qui est le Testament de Dieu, pour reprendre l’expression du juif agnostique Bernard-Henri Lévy), Dieu intervient dans l’histoire. Et il continue d’intervenir, d’ailleurs, dans le temps de l’Eglise, qui est le temps actuel. Or, la conception virginale est centrale dans la révélation chrétienne, dans le mystère de l’Incarnation. Cette conception a été annoncée dans l’Ancien Testament, comme le rappelle l’admirable petit livre de Philippe Lefèvre sur les femmes de l’Ancien  Testament qui annoncent Marie par bien des aspects. D’innombrables peintres ont représenté cette scène de l’Annonciation, notamment Fra Angelico. Si elle n’a pas existé, on ne peut pas prétendre que Jésus est vraiment Fils de Dieu.

Comme historien du catholicisme, je rappelle que le développement de la doctrine chrétienne est une notion essentielle que John Henry Newman au XIXe siècle a étudié dans son grand livre, l’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, édité en 1845, neuf ans avant la proclamation du dogme. John Henry Newman fonde tout son raisonnement sur les Pères, et sur l’expérience et la vie de l’Eglise catholique, Ancien Testament apparaît aujourd’hui comme un des Pères de l’Eglise contemporaine et un des théologiens qui ont inspiré Vatican II.

Il faut d’abord évoquer le culte marial au XIXe siècle avant la proclamation du dogme, le contexte révolutionnaire, et ensuite comment ce culte se développe au milieu du XIXe siècle. Ce seront mes deux premiers points. Puis, j’évoquerai la construction du dogme défini en 1854, et enfin l’étonnante application à travers la réflexion de John Henry Newman.

Au milieu du XIXe siècle, à l’époque de la proclamation du dogme, le prénom de Marie est donné à une petite fille sur trois. C’est absolument considérable, c’est inusuel, il y a toujours eu des Marie sous l’Ancien Régime, mais pas à ce point. A la fin du siècle, dans les années quatre-vingt dix encore, on comptait une fillette sur sept, qui portait le nom de Marie ou de Maria (Maria qui est à la mode est une variante de Marie). Marie continue d’occuper le premier rang des prénoms féminins, et il n’est dépassée par Jeanne, à cause de Jeanne d’Arc bien sûr, que pendant la première guerre mondiale, la béatification de Jeanne d’Arc ayant eu lieu en 1909. Donc Marie a tenu très longtemps au premier rang.

Il y a eu des explications à cet engouement qui dépasse largement le simple effet de mode. Pour le comprendre, il faut remonter dans l’histoire des mentalités jusqu’à la Révolution française. Cette Révolution, en effet, a été marquée par une interruption du culte public dans les lieux de dévotion et dans les lieux de pèlerinage, et par un iconoclasme, une destruction de nombreuses statues qui étaient vénérées, destruction pratiquée par les révolutionnaires les plus ardents, dans le but d’éradiquer ce qu’ils appelaient la superstition. Beaucoup de statues de la Vierge et des saints ont péri. D’autres ont été cachées, parfois enfouies. Et on a vu, pendant la Révolution, se substituant à Marie, des jeunes filles figurant dans les cortèges révolutionnaires. Elles représentaient la déesse Raison. Ces jeunes filles ont fait beaucoup parler d’elles par la suite. Certaines d’entre elles ont échappé à la punition divine qui les menaçait, selon la mentalité du temps. Mais certaines d’entre elles vont vivre jusqu’au milieu du XIXe siècle, à côté de croyants qui se souviennent. Si j’évoque cela, c’est parce que j’ai vu de nombreux registres historiques de paroisses au XIXe siècle où ces questions sont évoquées et restent en mémoire largement jusqu’au milieu du XIXe siècle. Le rétablissement officiel du culte en 1802 est suivi d’une longue période de restauration et de reconstruction des églises, des chapelles. La tâche est immense, les ressources sont limitées.

C’est à ce moment-là que surgit, au premier plan, avec des moyens pauvres, un grand nombre de statues de la Vierge, consolatrice, protectrice, miséricordieuse. Les statues sortent de leur cachette et les inventions de madones miraculeuses survivantes de la persécution révolutionnaire vont se multiplier, suscitant dévotions et pèlerinages. Les statues sont placées souvent dans des niches par la piété des fidèles. Rien qu’à Lille, dans l’ancien Lille, c’est à dire le Lille intra-muros d’avant les grands arrondissements de 1860, en 1847, il y quatre-vingt six statues de Marie, ce qui est énorme.

Le chapelet est à la portée des pauvres gens, et le rosaire, qui était déjà très répandu sous l’Ancien Régime, reprend en force. On pourrait multiplier les exemples. Un évêque, au lendemain du rétablissement du culte, à Vannes, doit bénir dix mille chapelets. Les confréries du rosaire et du scapulaire reprennent rapidement. Stefano Simiz, qui a étudié la Champagne, montre que la dévotion au rosaire s’est réinstallée au titre de composante majeure de la vie catholique après 1801. Cent seize confréries du rosaire existent dans le diocèse de Nantes dès 1829. Des centaines de milliers de personnes, en majorité des femmes, pratiquent la dévotion au chapelet et au rosaire. C’est en 1826 que Pauline Jaricot fonde le rosaire vivant, groupement d’associations qui popularise son œuvre missionnaire. En 1844, l’évêque d’Annecy, ville hors de France à l’époque, Monseigneur Rendu, dit ceci : « Marie a partout ses autels, ses temples, ses fêtes plus nombreuses que celles de son divin Fils, elles a ses congrégation, ses confréries, ses dévots. » Donc il y a là une explosion mariale qui est assez extraordinaire.

Le mouvement a pris une ampleur importante sous la Restauration pour différentes raisons. Une raison politique héritée du passé, qui est le vœu de Louis XIII. Rappelez-vous le célèbre tableau d’Ingres présenté au salon de 1824 inspiré d’une madone de Raphaël évoquant le vœu de Louis XIII à la Vierge qui va être à l’origine de la naissance de Louis XIV. Anne d’Autriche était stérile, comme certaines femmes de la Bible. Louis XIII fait un vœu, et Anne d’Autriche finalement enfante le futur Louis XIV, qui est peut-être le plus grand roi que la France ait eu.

Ensuite, il faut signaler l’ampleur du phénomène congréganiste se plaçant sous le patronage de Marie, notamment chez les femmes, mais aussi chez les hommes. Trente-six créations de congrégations féminines mariales entre 1800 et 1830, cinquante-neuf entre 1830 et 1870. Donc, déjà avant 1854, on peut estimer qu’il y a plus d’une bonne cinquantaine de congrégations féminines mariales qui ont été créées. Un événement très significatif, c’est le projet de séminaristes lyonnais qui se réunissent à Fourvière le 23 juillet 1816 pour créer une société de Marie. Ses promoteurs veulent privilégier l’imitation de Marie et pratiquer l’alliance avec Marie. A partir de cette réunion vont naître toute une série de congrégations : les Frères maristes fondées par Marcellin Champagnat, les Pères maristes par Jean-Claude Colin, les Sœurs par Jeanne-Marie Chavoir, et les Sœurs missionnaires. Des laïcs vont faire partie d’un tiers-ordre.

L’innovation en matière mariale ne va-t-elle pas plus loin ? N’y a-t-il pas des dérives du culte marial ? N’y aurait-il un pas un nouveau style marial après une grande Révolution qui a troublé les esprits ?

En effet, comment croire après cet affreux massacre, après cette terrible apostasie ? Comment Dieu tout-puissant a-t-il permis de pareilles horreurs ?  Vous savez, c’est une question qui a été renouvelée après la Shoah en 1944, c’est un peu le même type d’interrogation. Une explication vient à l’esprit de Joseph de Maistre : le Dieu juste à voulu punir les péchés des hommes et il a laissé Satan se déchaîner. Et cette explication est en partie évoquée par Chateaubriand dans Le Génie du christianisme dès 1802. Il évoque ce Dieu courroucé et précise le rôle de Marie : « cette tendre médiatrice entre nous et l’Eternel ouvre, avec la douce vertu de son sexe, un cœur plein de pitié à nos tristes confidences et désarme un Dieu irrité [nous sommes en 1802, neuf ans après la terreur, où la famille de Chateaubriand a été en grande partie guillotinée]. Dogme enchanté qui adoucit la terreur d’un Dieu en interposant la beauté entre notre néant et la majesté divine, Marie brille comme une rose mystérieuse ou comme l’étoile du matin. On reconnaît dans cette fille des hommes le refuge des pécheurs, la consolation des affligés, elle ignore les saintes colères de Seigneur [vous apercevez ici le Dieu vengeur]. Elle est toute bonté, toute compassion, toute indulgence. Marie est la divinité de l’innocence, de la faiblesse et du malheur. La foule de ses adorateurs dans nos églises se compose de pauvres matelots qu’elle a sauvé du naufrage, de vieux invalides qu’elle a arraché à la mort sous le fer des ennemis de la France [et Dieu sait s’ils sont nombreux à l’époque], de jeunes femmes dont elle a calmé les douleurs. Celles-ci apportent leur nourrisson devant son image, et le cœur du nouveau-né, qui ne comprend pas encore le Dieu du Ciel, comprend déjà cette divine Mère qui a un enfant dans les bras. » Ce texte est beau, et il dessine les traits de la dévotion mariale au XIXe siècle, tout au moins du premier XIXe siècle, à une époque qui est encore très marquée par la conception déiste d’un Dieu créateur majestueux, lointain et surtout justicier. En revanche, Marie apparaît comme la bonne mère, compatissante, consolatrice des affligés et des pécheurs, secourable pour les infortunés, accessible aux prières des plus humbles et des plus pauvres.

On va pouvoir observer dans ce contexte, dans ce climat, le grand essor du culte marial, tel qu’il se dessine, pratiquement, en France, sous la Monarchie de Juillet et la IIe République, en gros entre 1830 et le début des années 1850.

Quels en sont les principaux facteurs ? Il y a d’abord les fameuses apparitions. Il y en a deux qui nous concernent tout particulièrement qui sont antérieures à 1854, Lourdes arrivant justement un peu après la proclamation du dogme.

L’apparition du 27 novembre 1830 à une modeste Fille de la Charité, Catherine Labouré, suscite la diffusion, à partir de 1832, qui est l’année de la terrible épidémie de choléra, puis après 1836, par l’abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame des Victoires, de la fameuse médaille miraculeuse, répandue vite à des millions d’exemplaires. Aujourd’hui, la chapelle de la médaille miraculeuse reçoit chaque année deux millions de visiteurs, plus d’un siècle et demi après. Cette médaille porte l’invocation, qui est très importante pour nous : « Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. » Elle popularise donc la croyance en l’immaculée conception, que (et là j’anticipe) l’apparition de Lourdes confirmera en 1858.

Je vous indique tout de suite dans quelles circonstances. Quatre ans après la proclamation du dogme, le curé Peyramale doute des visions de Bernadette, de la pauvrette, de la petite Bernadette qui ne sait ni lire ni écrire, il la tarabuste et il lui dit : « Demande donc à la belle dame que tu vois qui elle est, enfin, ce n’est pas possible, il faut qu’elle le dise. » Et alors, c’est la surprise qui bouleverse Peyramale, quand Bernadette lui rapporte la réponse, réponse qu’elle n’a pas comprise, et qu’elle s’est mise à répéter, répéter, pour être bien sûre de lui dire : « Je suis l’Immaculée Conception » (elle le dit en patois). Peyramale est bouleversé parce qu’il sait que Bernadette ne sait ni lire ni écrire, n’a pas pu entendre parler de l’immaculée conception ; elle a douze ans, elle en avait huit quand le dogme a été défini, dans le milieu pauvre où elle était elle n’a pas pu en entendre parler, et puis cette fille n’est pas une menteuse, il le sait bien aussi ; à ce moment-là, il croit Bernadette, il croit que l’apparition est sérieuse.

Deuxième apparition dont on a à se préoccuper, parce qu’elle est antérieure à 1854, c’est l’apparition de la Salette, dans les Alpes, qui est assez curieuse pour notre sujet, parce qu’elle va assez bien dans la ligne de Chateaubriand (c’est une des raisons pour lesquelles j’ai insisté sur ce texte de Chateaubriand), en septembre 1846, à deux petits bergers pauvres, Mélanie et Maximin. La Vierge Marie est là un peu comme une plaignante. Elle se plaint du travail du dimanche, qui entraîne la désertion des églises le jour du Seigneur. Elle déplore le blasphème qui blesse très fortement son Fils. Et là on a l’image du Fils vengeur, punisseur : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, dit-elle, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils, il est si lourd que je ne puis le retenir. » Et elle annonce des châtiments, une grande famine, nous sommes en 1846, l’année de la dernière grande famine rurale, il y en aura une ou deux autre après mais qui seront moins graves, et elle dit encore : les noix deviendront mauvaises, les raisins pourriront, etc. ; toute une description qui touche les enfants puisque nous sommes dans un pays de noix dans les Alpes. Et elle demande aux enfants de prier, bien sûr. Le discours est donc très proche de celui de Chateaubriand dans Le Génie du christianisme en 1802, où Marie est justement la femme compatissante qui essaye de retenir le bras de son Fils.

Autre fait important, en dehors des apparitions, c’est la découverte en 1842 du manuscrit du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge de Louis-Marie Grignon de Montfort. C’est tout de suite un best-seller lorsqu’il est publié en 1843. Il connaît très vite trois cents éditions et se trouve traduit en cinquante langues. La dévotion à Marie y est présentée dans un langage très accessible au peuple, comme une consécration qui renouvelle les promesses du baptême, et qui conforme, unit, et consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ. Dans ce livre, nous avons justement une Marie qui n’est pas isolée de son Fils et qui est étroitement liée à Jésus-Christ, et donc qui est tout à fait orthodoxe. Marie, arbre de vie qui a porté Jésus-Christ, n’est jamais séparée de son Fils.

D’ailleurs, Jésus-Christ fait irruption de bien des manières sur la scène romantique à ce moment-là. En 1848, c’est le prolétaire de Nazareth, aspect qui a attiré l’attention, le bon charpentier, on verra ensuite plus tard, Jésus, Marie, Joseph, avec l’atelier familial où Joseph travaille avec Jésus le fils du charpentier, etc. Mais c’est aussi le Sacré Cœur. Et le Sacré-Cœur, c’est l’introduction du Dieu d’amour, qui se substitue progressivement au Dieu terrible. Le grand bouleversement du XIXe siècle, c’est cela, la crainte filiale qui, de plus en plus, remplace la crainte du châtiment.

Notons aussi que les fêtes de Marie prennent à ce moment-là une grande place dans le calendrier paroissial. Ces fêtes de Marie, en fait, sont nombreuses à ce moment-là et elles vont se multiplier. Tout à l’heure, en écoutant Madame Dary, je suis frappé du fait qu’il y a eu une multiplication de ces fêtes mariales, qui sont rentrées dans les calendriers liturgiques des diocèses. En dehors des fêtes classiques, Purification, Annonciation, Assomption, (qui sous le Second Empire va coïncider avec la saint Napoléon), Nativité de la Vierge, Notre-Dame des sept douleurs, Notre-Dame du Rosaire, Immaculée Conception le 8 décembre, etc., on célèbre en plus, par exemple, dès 1849, dans le diocèse de Rennes, la fête de Notre-Dame auxiliatrice, du Très Pur Cœur de Marie, et de la Maternité de Marie. Tous les samedis a lieu un office votif en l’honneur de l’Immaculée. Rappelons aussi la montée en puissance des associations d’enfants de Marie, qui vont jouer un grand rôle dans l’éducation des filles, avec la loi Falloux, qui suscite un développement considérable des écoles de filles à partir de 1850. Ces associations d’enfants de Marie promeuvent un type de femme vertueuse et digne, et contribuent par conséquent à l’amélioration de l’éducation féminine.

Autre innovation : les mois de Marie. Les mois de Marie, relativement peu fréquents auparavant, sont très largement une invention du XIXe siècle. Le mois le plus beau, selon le dicton. On bénéficie justement de cette nature renaissante, en ce mois révolutionnaire de floréal (les révolutionnaires avaient bien vu l’intérêt de ce mois : l’éclosion des fleurs), et il invite à célébrer la beauté : les autels sont couverts de fleurs et de brillantes illuminations, les chants mélodieux. Le peuple orne les autels, prend part aux chorales, apporte des bougies ou des cierges, et il y a de nombreux autels domestiques dans les foyers. Dans le diocèse d’Arras, le mois de Marie est généralisé, vingt pour cent des paroisses le célèbrent en 1836-1839, mais vingt ans plus tard, en 1858, quatre-vingt cinq pour cent des paroisses le célèbrent. Le cas d’Arras n’est pas unique, il y a beaucoup d’autres endroits où le même phénomène se produit. Parfois, nous dit-on, les églises sont plus remplies chaque soir du mois de Marie que le dimanche même.

Les cantiques mariaux se multiplient. A Rennes, la Vierge passe en tête du corpus diocésain : on y relève douze cantiques en 1834, on en retrouve plus de cinquante dans le livre de cantiques diocésain une vingtaine d’année plus tard. Donc le nombre des cantiques mariaux a quadruplé. La Vierge Marie investit alors l’espace chrétien de bien des manières, des modestes chapelles aux vastes basiliques et aux statues colossales.

On pourrait parler d’une certaine marialisation du paysage, favorisée par les peintres et des nombreux tableaux mariaux. A Paris, Notre-Dame de Lorette est érigée entre 1823 et 1836. La décoration intérieure évoque la vie de la Vierge. Beaucoup de nouvelles églises prennent le nom de Notre-Dame. Les pèlerinages mariaux se réaniment, et ce grand mouvement va être plutôt un effet de la vitalité religieuse au début du Second Empire et du dogme qu’une cause. Mais, le point de départ de ces pèlerinages mariaux, c’est la grande épidémie de choléra de 1849 et les grandes fêtes au début du Second Empire.

Certaines d’entre elles sont marquées par l’érection de statues de la Vierge sur les lieux élevés. La première érection importante, c’est Fourvière en 1852. Il y en aura bien d’autres après, au Puy, à Marseille, etc. Avec, notamment, cette innovation qui nécessite l’accord des chanoines de Saint-Pierre de Rome : le couronnement des statues de la Vierge. Et les premiers couronnements ont eu lieu à cette époque-là. Au sujet de ces couronnements, André Malraux a fait une réflexion qui est assez curieuse, à l’époque où un certain féminisme montait : « Ne critiquez pas trop l’Eglise catholique : avoir fait agenouiller des quantités d’hommes devant une femme couronnée, ce n’est quand même pas mal. » En Europe, le renouveau des grands pèlerinages mariaux et la vitalité des sanctuaires mariaux est concomitante. Mariazell en Styrie, en Autriche, Altötting en Bavière, Kevelaer en Rhénanie, Czestochowa en Pologne, très fréquenté dans la première moitié du XIXe siècle, Notre-Dame del Pilar à Saragosse, en Aragon, Notre-Dame de Montserrat en Catalogne et Notre-Dame de la Almudena à Madrid, sur laquelle on pourra  revenir, car c’est le noyau de la future cathédrale de Madrid, qui a été inaugurée par Jean-Paul II ; pour la première fois, un Pape a inauguré une cathédrale directement, en 1993. Elle a mis un siècle et demi à être construite.

J’en arrive maintenant à mon troisième point : la construction du dogme marial.

Comme Madame Davy l’a montré, c’est un dogme qui est marqué par le développement d’une fête, du fait du ralliement des théologiens, à partir de Duns Scot et des franciscains. Le Concile de Bâle, en 1439, considère que cette dévotion pieuse est importante et est vivement conseillée. Malheureusement, ce Concile de Bâle n’est pas œcuménique, à ce moment-là ; le Pape n’est pas dedans.

Mais, très vite, la papauté donne son appui. Dès la papauté d’Avignon au XIVe siècle, la fête est célébrée, et au XVe siècle, Sixte IV approuve la croyance et la fête. C’est Clément XI, en 1708, qui prescrit de la célébrer partout.

Dans ce domaine, on peut remarquer que l’Espagne est en pointe, et j’ai évoqué tout à l’heure justement cette paroisse Sainte-Marie de la Almudena à Madrid, qui sera plus tard le noyau de la future cathédrale, puisque Madrid n’est pas évêché à l’époque. C’est la première paroisse de Madrid qui a été créée au XIIIe siècle, et les partisans de l’Immaculée s’y rassemblent, c’est ça qui nous intéresse. En 1640, un grand d’Espagne, le duc de Pastrana, fonde la congrégation de la Real Esclavidud, dont les membres font le vœu de « défendre, croire et sentir que la Vierge fut conçue sans péché origine ». Donc, il y a, dès 1640, une propagande active pour l’Immaculée Conception, comme en témoigne l’importance de l’iconographie de l’Immaculée Conception. Murillo, l’un des plus grands peintres espagnols, a fait vingt tableaux représentant l’Immaculée Conception. Velasquez en a peint aussi, Zurbaran également. Il y a donc là tout un mouvement très important, que l’on va retrouver d’ailleurs au XIXe siècle, puisque les évêques espagnols vont être en pointe pour faire proclamer le dogme.

Comment les choses se passent-elles au XIXe siècle ? Le mouvement est enclenché après des questions posées sous Grégoire XVI (1831-1846). Une partie de l’épiscopat demande qu’on s’occupe de cette question de la proclamation du dogme. Grégoire XVI ne donne pas vraiment suite. Mais, en 1846, Pie IX devient Pape. Et, en 1847, il reçoit un mémoire du Père Perrone, théologien influent, qui est favorable à une définition du dogme de l’Immaculée Conception (Perrone est un des grands théologiens romains du XIXe siècle ; il était à l’époque, d’ailleurs, en train d’interroger Newman, qu’il trouve très bizarre dans ses conceptions, mais pas hétérodoxe). Et, après ce premier texte de Perrone, Pie IX nomme une commission de vingt théologiens. Cette commission de vingt théologiens travaille ; il va y avoir un travail considérable pour définir un dogme, que Monsieur le Curé vous a lu tout à l’heure, qui est un dogme assez simple finalement.

Le 2 février 1849, Pie IX lance l’encyclique Ubi Primum, il demande aux évêques de prier pour la définition du dogme, et de donner leur avis sur son opportunité. Presque tous les évêques de la catholicité répondent : plus de six-cent réponses (à cette époque-là, il sont encore moins d’un millier, aujourd’hui, vous savez qu’ils sont quatre mille). Sur les plus de six cent réponses, les neuf dixièmes sont favorables. En pointe, comme je vous le disais, les évêques espagnols. Les évêques italiens et les évêques de mission sont favorables, et un certain nombres d’évêques français. Quelques-uns sont réservés sur la possibilité d’une définition, car ils se demandent quelles sont les bases réelles de cette définition. D’autres la jugent inopportune : quelques évêques allemands, parce qu’ils pensent que cela va agacer les protestants, et le primat de Belgique, le cardinal Steerckx, personnage remarquable par ailleurs, car il ne voudrait pas qu’on trouve l’occasion d’exciter trop les milieux libéraux, il le dit carrément.

On consulte un grand nombre d’abbés aussi, et parmi eux Dom Guéranger, abbé de Solesmes. Dom Guéranger se met à écrire un mémoire à la demande du Pape. Le Pape va le lire attentivement. Et Guéranger, qui est un personnage considérable à cette époque-là, en 1850, écrit ceci : « La conception immaculée doit appartenir à la révélation. Pour cela, il faut qu’elle découle de l’Ecriture et de la tradition, des deux à la fois, ou bien qu’elle soit impliquée dans les croyances antérieurement définies. D’autre part, elle a été proposée à la foi des fidèles par l’enseignement du magistère ordinaire [elle a été proposée par les Papes déjà depuis plusieurs siècles]. Enfin, elle est attestée, par la liturgie, les Pères et les écrivains de l’Eglise ». Voilà les questions, les critères que Dom Guéranger donne et, dans chaque cas, la réponse, selon lui, est affirmative. Il répond oui.

Les évêques sont donc convoqués à Rome, ils arrivent au mois de novembre 1854. On a fixé la définition au 8 décembre. Les évêques obtiennent quelques modifications au projet de définition. Donc les évêques, le processus est intéressant, ont quand même leur mot à dire.

Finalement, le 8 décembre à Saint-Pierre, en présence de deux cents évêques, la bulle Ineffabilis Deus, que Monsieur le Curé vous a lue tout à l’heure, définit le dogme. Cette cérémonie est grandiose (on n’a pas réuni autant d’évêques à Rome depuis le XVIe siècle), et sur l’un des portails de Saint-Pierre, l’évènement est mentionné. La croyance est définie : Marie a été préservée intacte de toute souillure du péché originel, doctrine révélée de Dieu, qui doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. La bulle insiste sur le titre de Mère de Dieu comme fondement de l’immaculée conception. Signalons que la Pape a prononcé seul la définition. Il n’a pas fait mention de l’approbation de l’épiscopat. Il y a donc une application pratique et volontaire d’une infaillibilité pontificale qui n’a pas encore été définie, puisque, vous le savez, elle ne sera définie qu’au Concile de Vatican I, en 1870. Cette procédure a suscité quelques critiques.

Et j’en arrive maintenant à mon dernier point, qui est celui de l’illustration de la réflexion de Newman, en 1845, sur le développement de la doctrine chrétienne. Ce qui apparaît ici de façon tout à fait étonnante, c’est justement cette confirmation de la réflexion de l’Eglise par celui que nous considérons aujourd’hui comme le plus grand théologien du XIXe siècle, avec probablement deux allemands comme Möhler et Scheeben. Scheeben nous intéresse parce qu’il a, à la même époque, parlé du dogme.

Marie, selon lui, est prédestinée comme Mère du Rédempteur (donc il est tout à fait dans la ligne de la définition), une rédemption préventive lui est appliquée, parce que sa solidarité avec le Christ prévaut sur sa solidarité avec Adam et Eve. Pour lui, l’Assomption couronne la parfaite rédemption de Marie, et l’accent est donc mis sur la Mère de Dieu, comme d’ailleurs dans la Bible.

Pour Newman, l’importance de son livre, Essai sur le développement de la doctrine chrétienne (1845), est reconnue aujourd’hui, vous le savez, et cet essai accompagne d’ailleurs sa conversion. Newman, dès 1842, identifie le principe du développement doctrinal comme un phénomène fondamental à partir de l’Ecriture et de la Tradition. Et il l’applique au dogme de l’Eglise catholique. Voilà une définition un peu compliquée, mais qui est tout à fait dans la pensée newmanienne : « le dogme est, selon lui, une idée, qui naît, grandit, fait son chemin, se garde des déviations tout en se nourrissant d’autres idées, et gagne en précision au fur et à mesure de son progrès. La formulation dogmatique met en évidence des aspects jusqu’alors latents de l’idée. Or l’idée de révélation inclut la communication d’un enseignement adressé à l’intellect humain et donc saisi selon les lois de ce dernier, c’est-à-dire des lois rationnelles. » Ainsi, tout ce développement dogmatique, qui existe depuis la révélation chrétienne, depuis les grands conciles, à partir des Pères, et à travers l’histoire, justement, est conforme aux lois de la raison humaine, de l’intellect humain. Et, autre idée considérable de Newman : s’il y a développement, il y aura forcément quelque part une autorité infaillible, et cette autorité infaillible, selon Newman qui vient de l’Eglise anglicane, où il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait, elle est dans l’Eglise catholique, et notamment dans le dialogue entre l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée. Et il est évident ici, que le rôle de l’Eglise enseignée, on l’a vu par la liturgie et par la réflexion au cours des siècles, et encore par la consultation des évêques, etc., est très important.

Comment applique-t-il le développement à Marie ? Il en parle à plusieurs endroits de son fameux essai. Les prérogatives spéciales de Marie découlent de la doctrine de l’Incarnation. Et il rappelle l’importance du Concile d’Ephèse de 431, Marie proclamée Mère de Dieu, un titre largement utilisé par les Pères de l’Eglise, dit-il, et Saint Augustin lui-même aurait dit : Tous ont péché sauf la Sainte Vierge. Autre remarque de Newman, qui n’est pas dans le texte de la proclamation dogmatique, mais dans l’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, mais qui est intéressante : il reprend le fameux parallèle entre Eve et Marie : Eve, mère de tous les vivants, qui apparaît dans la Genèse (320), et Marie, Mère du Rédempteur. Les deux femmes sont mises en contraste dans Genèse 315 : Une femme qui est dans la descendance d’Eve t’écrasera  la tête, dit Dieu au serpent. Et dans Apocalypse 121-17 où on voit la femme qui est menacée par le dragon et qui finalement est sauvée du dragon. La comparaison Eve / Marie est explicite très tôt, dès le IIe siècle, chez Saint Justin, chez Tertullien, chez Saint Irénée.

D’autre part, Newman insiste sur la différence entre la piété envers le Christ et la piété envers Marie. Newman est très sensible aux critiques des protestants qui ne veulent pas que l’Eglise catholique fasse de Marie une quatrième personne de la Trinité (au XIXe siècle, il y parfois des tendances dans ce sens-là), et il le montre bien dans la dévotion, la piété envers la Vierge : « Le ton de la dévotion envers la Vierge, dit-il, est absolument différent de celui du culte rendu à son Fils éternel et à la Sainte Trinité. On sera forcé de l’avouer si on examine les offices du culte catholique [et là aussi, il se réfère à la liturgie, bonne méthode]. L’adoration suprême et véritable, rendue au Tout-puissant, est sévère, profonde, awful [pleine de crainte respectueuse], en même temps que tendre, confiante, obéissante. On s’adresse au Christ comme au vrai Dieu, qui est en même temps vrai homme, comme à notre Créateur et Juge, qui est en même temps très aimant, doux et gracieux. De son côté, le langage employé à l’égard de Sainte Marie est affectueux et ardent, comme envers une simple fille d’Adam, bien qu’il soit humble parce qu’il vient de sa parenté pécheresse. Combien, par exemple, le ton du Dies Irae ne diffère-t-il pas de celui du Stabat Mater ? […] Quelle différence entre le langage de l’office du bréviaire pour la fête de la Pentecôte ou de la Sainte Trinité, et celui du jour de l’Assomption ? Quelle indescriptible majesté, quelle solidité, quel calme dans le Veni Creator Spiritus […, office de la Pentecôte] Au contraire, dans l’office de l’Assomption, quelle tendresse, quelle chaleur de sympathie et d’affection, que d’émotion stimulante dans le Virgo Prudentissima […] Filia Sion […voyez encore le Salve Regina ou l’Ave Maris Stella.]» (Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, 2e partie, chapitre 11, section 2, §2) 

Abbé Hervé Géniteau : Merci beaucoup à vous, Yves-Marie Hilaire, de nous avoir montré avec beaucoup de précision historique à quel point la définition du dogme n’est pas dissociable, c’est une évidence, du contexte dans lequel il a été défini, et comment, aussi, le contexte historique influence la définition d’un dogme. Alors avant de faire quelques minutes de pause et de passer à la deuxième partie de notre colloque, je vous propose de poser l’une ou l’autre question à Madame Dary ou à Monsieur Hilaire.

Premières questions

- Quelle est la position des protestants ?

- Monsieur Yves-Marie Hilaire : C’est une très bonne question, mais c’est assez difficile de répondre, parce qu’il y a plusieurs positions. Les anglicans ne sont pas loin, certains d’entre eux tout au moins, du dogme catholique, même s’ils ne souhaitent pas le définir comme un dogme. Je pense à Lord Halifax, qui l’admettait, à Keble, un des compagnons de Newman qui était resté protestant et qui l’admettait aussi. Quant aux autres, luthériens, calvinistes, il y a chez Luther de très belles pages sur Marie, sur la pureté de Marie, mais ils ne veulent pas définir un dogme sur ce point-là, et je crois qu’ils ne partagent pas tout à fait cette conception. Les ecclésiastiques répondront peut-être mieux que moi à cette question. Certains calvinistes sont encore plus éloignés.

- Madame Marie-Bénédicte Dary : Je voudrais juste rajouter quelque chose qui est assez étrange. C’est par rapport à l’Islam. Il y a un hadith, qui est d’ailleurs un bon hadith (parce qu’il y a des plus ou moins bons hadiths, qui sont des commentaires du Coran), qui dit que tous sont nés avec le péché, sauf Jésus et sa mère. Alors, ce sont des commentaires qui sont nés dans un milieu où déjà on connaissait, on commençait à célébrer une préservation de Marie. C’est quand même étrange de se dire que l’Islam, qui ne reconnaît pas le Sauveur, transmet par sa tradition que la Vierge a été conçue sans le péché.

- Monsieur Yves-Marie Hilaire : La fameuse maison de Marie à Ephèse est visitée par de nombreux musulmans. La maison de Marie, dont l’authenticité aurait été certifiée par les visions d’Anne-Catherine Emerick, qui vient d’être béatifiée.

- Comment expliquez-vous le silence du concile de Trente sur la question ? Au concile de Bâle, il y a un point d’arrêt de la controverse, et puis, finalement, on passe à Clément XI qui fait célébrer la fête, il y a tout un silence de l’Eglise et de son autorité?

- Madame Marie-Bénédicte Dary : A ma connaissance, parce que le concile de Trente était plus préoccupé des problèmes concernant l’Eucharistie que des questions concernant la Vierge Marie. Je crois que ç’a été une question de priorité, à ma connaissance.

- Monsieur Yves-Marie Hilaire : J’apporterais la même réponse. Il me semble que les Pères ne se sont pas préoccupés de préciser de nouvelles doctrines sur la Vierge Marie, il y avait des choses jugées plus urgentes dans le contexte d’alors.

- Pourriez-vous nous dire un mot au sujet de l’expression « les frères de Jésus » avec la problématique que ça pose par rapport à la virginité de Marie ?

- Monsieur Yves-Marie Hilaire : Oui, c’est un autre problème que l’Immaculée Conception, c’est le problème de la virginité perpétuelle de Marie. Sur ce sujet, les spécialistes se divisent, et surtout, le sens du mot frère dans les langues originelles, qu’il s’agisse du grec ou de l’hébreu, peut être large et englobant. Mais, de là à donner à Marie huit enfants, comme certains voudraient le faire, cela fait quand même beaucoup, et à la transformer en mama flamande comme le fait la conclusion du livre de Duquesne, c’est un peu ridicule.

Abbé Hervé Géniteau : Nous allons donc maintenant commencer la deuxième partie de notre après-midi. Après l’éclairage historique sur le dogme avec Madame Dary et Monsieur Hilaire, nous abordons maintenant le point de vue plus théologique avec deux intervenants, d’abord le Père Guillaume de Menthière, que je suis très heureux de recevoir ici à l’Immaculée Conception, nous avons été au séminaire ensemble, nous avons été ordonnées le même jour. Il est curé, lui aussi, de la paroisse Saint Jean-Baptiste de la Salle dans le XVe arrondissement. Le Père de Menthière a publié plusieurs livres, mais en particulier publié l’année dernière un livre qui s’appelle Je vous salue Marie. Il a donné une interview à Famille chrétienne de cette semaine, et à Paris Notre-Dame, peut-être encore à d’autres journaux aussi. Le Père de Menthière va nous parler d’une manière théologique du dogme de l’Immaculée Conception ; et Monseigneur Chauvet, qui interviendra après, nous parlera des conséquences du dogme de l’Immaculée Conception dans notre vie spirituelle.

III- Intervention de l’Abbé Guillaume de Menthière

Je vais essayer de me glisser dans les interstices de ce qui n’a pas encore été dit, mais j’en reviens d’abord au texte lui-même qui vous a été lu, et je rappelle que le pape Pie IX, « après avoir imploré le secours de toute la cour céleste, et invoqué avec gémissement l’Esprit consolateur », comme il le dit dans sa bulle, a décidé de définir, ce dogme de l’Immaculée Conception. Puis dans sa bulle Ineffabilis Deus, il y a cette explosion de joie qui a étreint, à vrai dire, toute la chrétienté. Car, il ne faut pas oublier qu’un dogme, même si le mot a pris, dans notre vocabulaire contemporain, une tonalité un peu péjorative (dogmatique, ça veut dire un peu mesquin, un peu étroit), c’est d’abord une chance et une joie pour l’Eglise. Je ne sais plus qui a dit que le dogme était comme les rives d’un fleuve, bienheureuses rives qui, en enserrant le fleuve, l’empêchent de devenir marécage et lui permettent d’avancer plus loin. Il n’y aurait pas de dogme, notre foi deviendrait marécageuse et stagnerait. Nous nous y embourberions. « En vérité, notre bouche est pleine de joie, dit le pape Pie IX, et notre langue est dans l’allégresse. » On a de nombreuses descriptions de l’allégresse qui a embrasé la chrétienté toute entière quand ce dogme a été défini. On peut dire cela de tous les dogmes : quand, en 431, le dogme d ‘Ephèse a été défini, nous avons aussi des témoignages de cette joie, de cette allégresse, dans tout l’Orient spécialement, qui a saisi le peuple chrétien. Alors comment en est-on arrivé à la joyeuse proclamation de ce dogme ? Vous l’avez vu historiquement. Mais maintenant, théologiquement, comment peut-on essayer de rendre compte de cette Immaculée Conception ?

Partons de ce simple fait : Marie est pleine de grâce. C’est ce que nous disons chaque jour dans le Je vous salue Marie, et il faut revenir sur cette expression étonnante. L’ange Gabriel salue la Vierge Marie, au jour de l’Annonciation, non pas en lui disant « Je vous salue, Marie ». C’est l’Eglise qui a rajouté le mot de Marie, pour que l’on comprenne de qui il s’agit. Mais l’ange dit : « Kaïré, kékaritôménè », « Réjouis-toi, comblée de grâce ! » (Lc128). Tout se passe comme si ce mot, « kékaritôménè », « comblée de grâce », était le nom propre de la Vierge Marie, comme si Marie ne portait pas d’autre nom quand Dieu voulait la saluer. Il ne trouve pas d’autre nom pour la saluer, pour s’adresser à elle, que le mot « pleine de grâce », « kékaritôménè ». Et je vous fais remarquer que l’ange salue Marie comme pleine de grâce avant, bien entendu, que Marie ait dit oui, avant qu’elle ait prononcé son Fiat, et donc avant que l’Esprit-Saint ne vienne sur elle, la couvrant de son ombre, pour qu’en elle le Verbe se fasse chair. C’est donc avant l’Incarnation, et avant l’obombrement de l’Esprit-Saint que Marie est déclarée pleine de grâce. Alors on peut pousser des exclamations comme Saint Bernard, en disant à la Vierge : Enfin, Marie, si vous êtes pleine de grâce avant l’Incarnation, que sera-ce après ? Ou encore avec le Père Grou, qui est un théologien du XIXe siècle, on peut dire à Marie : Marie, si vous êtes déjà pleine de grâce avant l’annonciation, qu’une nouvelle venue de l’Esprit-Saint vous prend sous son ombre au moment de votre Fiat, et qu’à nouveau vous êtes présente le jour de la Pentecôte, pour qu’avec toute l’Eglise vous receviez l’Esprit-Saint, alors vous avancez de plénitude de grâce en plénitude de grâce. Et toutes ces plénitudes de grâces vont croissant, un peu comme on dit de Jésus dans l’Evangile qu’ « Il croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc252). C’est étonnant, Jésus, Il est plein de grâce, Il est la source de tout grâce, avec lui toute grâce vient sur la terre, nous recevons de sa plénitude grâce sur grâce, comme dit l’Ecriture. Et pourtant de Jésus il est dit qu’il croissait en sagesse et en grâce. Et bien Marie avance ainsi de plénitude en plénitude de grâce pour devenir, selon l’expression de Saint Bernard, archipleine et débordant de la grâce, qui rejaillit sur toute l’humanité.

Alors, il suffit de prendre au sérieux cette appellation « comblée de grâce » pour comprendre que Marie est l’Immaculée. Car enfin, si Marie est comblée de toutes les grâces qu’une créature peut recevoir, et c’est bien ce que nous disons , ce que nous croyons, ce que nous disons chaque jour dans le Je vous salue Marie, alors comment oser lui refuser cette grâce de l’immaculée conception ? Marie possédait, c’est sûr, toutes les grâces qu’une pure nature humaine peut recevoir, et assurément elle avait cette grâce de l’immaculée conception, cette grâce d’avoir été, par un privilège, venant déjà de la mort et de la Résurrection de son Fils, préservée de tout péché, de toute souillure du péché originel. Comme disait le Psaume, dans la Vulgate (Ps 4414): « Tout la beauté de la fille du roi vient de l’intérieur ». Et bien toute la beauté de Marie vient de cette grâce sanctifiante qui, en elle, depuis le premier instant, la préserve de toute atteinte du péché originel.  

Dans le Je vous salue Marie, nous disons  aussi: « Tu es bénie entre toutes les femmes », et c’est Elisabeth, remplie de l’Esprit-Saint, donc particulièrement inspirée, semble-t-il, ce jour-là, qui salue Marie en lui disant : « Tu es bénie entre toutes les femmes » (Lc142). Tous les exégètes vous expliqueront qu’en langue sémitique, cette expression n’est aucunement équivoque, elle ne peut vouloir dire qu’une choses : Marie est la plus bénie des femmes. En effet, la langue hébraïque ne connaît pas le superlatif, et donc elle distingue une personne en la mettant au-dessus de la masse des autres. « Tu es bénie entre les femmes » signifie donc : « Tu es la plus bénie des femmes. »

Alors voyons les femmes de l’Ancien Testament. Voyons toutes les femmes qui ont précédé Marie. Elles ont été bénies, elles aussi, pour nombre d’entre elles. Et voyons notamment ces femmes fortes, dont on dit qu’elles ont vaincu l’ennemi d’Israël. Vous le savez, cette expression « Tu es bénie entre les femmes », on la trouve presque telle quelle dans l’Ancien Testament, au livre des Juges. Et elle est adressée par qui ? par une femme précisément, Débora ; et à qui ? à une autre femme, Yaël. Vous trouvez cela au livre des Juges, au chapitre 5. Que s’est-il passé ? Yaël a terrassé l’ennemi d’Israël, en lui plantant un piquet dans la tempe, ce qui est très désagréable, et en le fichant dans le sol. Et le pauvre Sisera, ennemi d’Israël, en est mort, naturellement. Alors Débora, devant cette victoire sur le bourreau Sisera, chante la gloire de Yaël, en lui disant ceci : « Bénie entre les femmes soit Yaël, entre les femmes qui habitent les tentes, bénie soit-elle ! » (Jug 524). Marie n’est-elle pas proclamée par Elisabeth comme la nouvelle Yaël, qui, pour nous, a terrassé l’ennemi du genre humain, l’infâme serpent de la Genèse ? Marie vainc le péché, vainc notre ennemi, l’ennemi du vrai Israël. Car, nous ne connaissons qu’un ennemi, c’est le péché.

On peut penser aussi à Judith. Judith, c’est une situation similaire. Judith va couper, comme chacun sait, la tête d’Holopherne, la brandir, et tout le peuple, en extase devant cette victoire extraordinaire qu’a remportée Judith, s’écrit : « Soit bénie, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre ; et béni soit le Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre » (Jdt 1318). Si on regarde le texte de la Vulgate, c’est à dire de la Bible latine, voilà ce qui est dit (Judith s’exclame, en brandissant la tête d’Holopherne) : « Vive le Seigneur, car son ange m’a gardé tandis que j’allais vers Holopherne. Le Seigneur n’a pas permis que je fusse souillée, mais il m’a fait revenir parmi vous sans tache, joyeuse de sa victoire et de votre libération. Célébrez-le tous car il est bon et sa miséricorde est éternelle » (Vulgate, Jdt 1320-21). Voilà que Judith, bénie entre les femmes, a la tête d’Holopherne entre le mains, et qu’elle s’écrit : « Le Seigneur m’a fait revenir vers vous sans tache, Il n’a pas permis que je fusse souillée ». Marie est encore plus bénie que Judith dont il est dit que le Seigneur n’a pas permis qu’elle fût souillée. Judith chantera elle-même un cantique de victoire, d’ailleurs, qui ressemble trait pour trait (vous lirez ça au livre de Judith, au chapitre 16) au Magnificat de la Vierge.

On pourrait citer Esther, le cas est similaire. Le roi a été séduit par sa beauté, elle a trouvé grâce et faveur plus qu’aucune autre fille, devant Assuérus, qui la préfère à toutes les autres femmes (v. Est 217).

On pourrait citer aussi, bien sûr, au livre des Proverbes, la femme forte. Qu’est-il dit de la femme forte, en Proverbes, 31 ? Il est dit ceci : « Elle a bien plus de prix que les perles ! » (3110). « Force et dignité forment sont vêtement, elle rit au jour à venir. Avec sagesse, elle ouvre la bouche, sur sa langue : une doctrine de piété » (3125-26). C’est de la Vierge qu’on peut dire vraiment ce qui est dite de la femme forte : « Nombre de femmes ont accompli des exploits, mais toi, tu les surpasse toutes ! » (3129).

Si l’on continue, vous voyez où je veux en venir, Marie est plus bénie que toutes ces femmes que je viens de citer, plus bénie aussi, évidemment, que la femme par excellence, à savoir Eve. Si Eve a été bénie, puisqu’elle a été créée immaculée, elle a été créée sans péché, combien plus Marie est-elle bénie ! Et ce que l’on accorde à Eve, comment peut-on le refuser à la pleine de grâce, à Marie ? Monsieur Hilaire a cité Newman ; Newman a été un des propagandistes du dogme de l’Immaculée Conception, et il dit que cette vérité que Marie est la nouvelle Eve comme Jésus est le nouvel Adam est le grand enseignement rudimentaire de l’antiquité chrétienne. Dès le IIe siècle, avec Saint Justin et Saint Irénée, nous avons des textes superbes qui manifestent Marie comme la nouvelle Eve. Et bien, de même que Eve avait été créée sans péché, on doit dire autant, au moins autant, de la Vierge Marie conçue sans péché. Voilà ce qu’écrit le Cardinal Newman à un de ses jeunes amis anglicans : « Je vous le demande, avez-vous l’intention de nier que Marie ait reçu autant que Eve ? Est-ce trop inférer que Marie, devant coopérer à la rédemption du monde, avait reçu au moins autant de grâce que la première femme qui fut, il est vrai, donnée comme aide à son époux, mais coopéra seulement à sa ruine ? »[7]

Pierre Corneille, dans ce XVIIe siècle, qui est le grand siècle des âmes, mais qui fut aussi le grand siècle de l’Immaculée Conception, écrivait ceci, avec sa langue poétique :

« Cette Eve cependant qui nous engage aux flammes,
Au point qu’elle est formée est sans corruption,
Et la Vierge bénie entre toutes les femmes
Serait-elle moins pure en sa conception ?
Non, non, n’en croyez rien, et tous tant que nous sommes
Publions le contraire à toute heure, en tout lieu :
Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes,
Ne le refusons pas à la Mère de Dieu. »[8]

C’est joli quand même, Corneille ….

Ce parallèle entre Marie et Eve a été développé de toutes sortes de manières, par tous les écrivains ecclésiastiques, il est très essentiel pour comprendre tout le dogme marial, et à vrai dire pour comprendre l’histoire du salut. Il faut se rappeler qu’en bonne théologie, la protologie éclaire l’eschatologie et réciproquement. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que les évènements du début de l’humanité, Adam et Eve, éclairent ces temps derniers où nous sommes. De même que actuellement dans le Paradis, au Ciel, sont en corps et en âme Jésus, nouvel Adam, et Marie, nouvelle Eve, comme il résulte du dogme de l’Assomption, de même au paradis terrestre étaient Adam et Eve. Vous voyez, il y a un parallèle que nous devons faire sans cesse entre les évènements des derniers temps, dans lesquels nous sommes entrés depuis la mort et la Résurrection de Jésus, et les évènements de la protologie, ces évènements des origines de l’humanité.

Alors, vous le savez, un verset va être déterminant dans la question de l’immaculée conception, ou du moins va jouer un très grand rôle, c’est le verset Genèse 315, on l’appelle le protévangile. Pourquoi le protévangile ? Parce que c’est la première annonce d’une victoire sur le péché. A peine Adam et Eve ont-ils commis le péché originel qu’aussitôt Dieu entrevoit le plan de leur rédemption et le plan de leur salut. Et que dit-il ? Il s’adresse au serpent et il dit : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité. Celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon. »

Ce verset, tel que nous le lisons, est susceptible de plusieurs sens, et ces sens ont été donnés tour à tour suivant les différentes traductions. En hébreu, c’est la descendance de la femme qui écrasera la tête du serpent. C’est ce que nous avons dans nos bibles actuellement.

En grec, dans le grec de la Septante, cette traduction qui a été faite au IIIe siècle avant Jésus-Christ par des rabbins, on comprend que c’est un des descendants de la femme qui écrasera la tête du serpent. Autrement dit, c’est un sens messianique, on entrevoit déjà un Messie qui viendra pour terrasser le mal.

Mais, dans la traduction latine de la Vulgate, qu’ont utilisée tous les Pères et les Docteurs de l’Eglise latine, il est dit que c’est la femme qui écrasera le serpent. En effet, Saint Jérôme traduit ainsi : « Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum ». Celle-ci, ipsa, ne peut faire référence qu’à la femme. Autrement dit, Dieu annonce au serpent que la femme lui écrasera la tête et le terrassera. Ainsi, nous comprenons que Marie est celle qui était annoncée par Genèse 315 ; en tout cas, la théologie latine l’a toujours compris ainsi : Marie est cette femme qui écrase le serpent diabolique de ses talons. La Vierge que vous voyez ici, dans cette paroisse de l’Immaculée Conception, est représentée avec le serpent diabolique, qu’elle écrase de ses pieds. Donc Marie vainc le mal, Marie est l’arche de salut qui surnage seule sur les eaux du déluge.

Les Pères de l’Eglise et les Docteurs vont multiplier les images bibliques pour montrer que Marie est l’Immaculée. Elle est la blanche toison rafraîchie par la rosée du Ciel, tandis que toute la terre demeure dans la sécheresse (allusion à Gédéon, au livre des Juges), elle est la flamme que les grandes eaux n’ont pu éteindre (allusion au Cantique des Cantiques), elle est le lys qui fleurit dans les épines (Cantique des Cantiques aussi), elle est le jardin fermé au serpent infernal, l’hortus conclusus (Cantique toujours); au paradis terrestre, le serpent avait pu entrer, je ne sais pas par où il est entré, mais en tout cas, il a pu s’insinuer, s’infiltrer, par quelque part, en tout cas il y était ; tandis que Marie est l’hortus conclusus, le jardin fermé où le serpent ne peut pas entrer. Il s’est brisé, le diable, sur l’humilité de la Vierge Marie. Il y a des très beaux textes de Bernanos qui montrent que le diable, avec toutes ses menées sataniques, n’a rien pu contre le roc inaltérable de l’humilité de la Vierge. Si nous sommes parfaitement humbles, le diable ne peut rien contre nous. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait : comme je suis trop petite, le diable passe au dessus de moi. Ce n’est pas mal. C’est aussi pour cela que nous avons été oint d’huile lors de notre confirmation, pour être forts contre toutes les menées du diable. Quand le diable veut  nous attraper, comme on est oint de l’huile de notre confirmation, et bien hop ! ça échappe comme une savonnette.

On applique à la Vierge les versets du Cantique des cantiques : « Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tache aucune » (47), ou bien encore ceux du livre de la Sagesse : « elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir immaculé de l’activité de Dieu, une image de sa bonté » (726), « plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations. Comparée à la lumière, elle l’emporte » (729). Voilà. La tradition latine a beaucoup joué sur ces textes de la Sagesse, et les applique à Marie, par exemple dans la liturgie de la fête de la Présentation de Marie au Temple. Et l’iconographie chrétienne a aussi beaucoup joué sur ce parallélisme antithétique entre Eve et Marie. Si vous avez en tête les tableaux de Fra Angelico, vous savez bien que dans la scène de l’Annonciation, il y a toujours Adam et Eve en arrière-fond, qui sont en train d’être expulsés du paradis terrestre, ou même, quand il n’y a pas Adam et Eve, il y a toujours un petit témoin de cette présence de la scène originelle de la Genèse, par exemple une pomme très souvent (je pense à l’Annonciation de Roger Van der Weyden, où vous avez une pomme quelque part, réminiscence du péché originel). Evidemment, Marie se montre la nouvelle Eve non seulement au moment de l’Annonciation, où elle répond positivement à l’appel de Dieu, là où Eve avait répondu positivement, elle, à la sollicitation du démon. Mais elle se montre la nouvelle Eve aussi à Cana. Dans le fond, qu’est-ce que c’est que Cana, si ce n’est Marie, la nouvelle Eve qui presse le Nouvel Adam, Jésus, vers l’heure du salut, de même que l’antique Eve avait pressé l’antique Adam vers l’heure de la chute ? Elle est aussi, et tous les exégètes maintenant le reconnaissent, montrée par Saint Jean au pied de la Croix comme la nouvelle Eve, et vous connaissez tout la littérature patristique notamment sur l’arbre de la Croix qui laisse pendre le fruit béni de notre rédemption, de même qu’autrefois l’arbre dans le jardin avait laissé pendre le fruit maudit de notre perte, de notre chute. Il y a tout ce parallélisme antithétique que vous connaissez bien, je n’y reviens pas.

Il faut donc dire et tenir, comme le Concile Vatican II le rappelle dans Lumen Gentium que Marie est la nouvelle Eve, et que le nœud dû à la désobéissance d’Eve s’est dénoué par l’obéissance de Marie. Ce que la vierge Eve avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l’a dénoué par sa foi. Comparant Marie avec Eve, les Pères de l’Eglise appellent la Vierge la mère des vivants, et déclarent souvent : par Eve, la mort ; par Marie, la vie. Ce parallèle est essentiel pour comprendre l’histoire du salut, dans le prolongement de ce parallèle scripturaire que Paul fait entre Jésus et Adam . Les Pères ont beaucoup joué sur Ave, Eva. En latin, ça marchait bien évidemment. Et puis vae aussi. Vae, ça veut dire malheur. Alors, l’Ave que Marie entend est pour nous le commencement de la fin de ce vae qu’Eve a entendu.

Alors, qu’est-ce que l’on peut dire sur la difficulté du dogme ? Pourquoi a-t-on attendu si longtemps ? Vous avez eu le développement historique, mais vous savez bien que le nœud de la difficulté n’est pas de dire que Marie soit toute sainte et sans péché. Ça, tout le monde est d’accord, et depuis l’origine. Il y bien Tertullien ou Origène qui ont dit, à un moment ou un autre, que Marie aurait commis quelque péché. Mais en gros, on peut dire que, depuis le IIIe siècle, toute l’Eglise, tant en Orient qu’en Occident, est unanime, pour dire que Marie n’a jamais commis de péché. Là-dessus, il n’y a pas de problème.

En revanche, la difficulté, c’est de savoir si Marie a été affectée par le péché originel. C’est bien ça le fond de notre dogme. Les théologiens, très rapidement, même Saint Augustin, confessent que Marie a été sanctifiée très tôt, dès le sein maternel. C’est la position de Saint Bernard, c’est la position de Saint Thomas, c’est-à-dire que Marie a été sanctifiée comme Jean-Baptiste, comme Jérémie, dès le sein maternel. Autrement dit, qu’elle a été, comme tout homme, marquée par le péché originel (c’est ce que pensent Saint Thomas ou Saint Bernard), mais, très vite, elle en a été purifiée, dès le premier instant quasiment. Donc elle a été marquée, parce que c’est une fille d’Adam, mais elle en a été purifiée. Or, le dogme dit plus que ça. Le dogme ne dit pas que Marie a été purifiée dès le sein maternel du péché originel, il dit qu’elle a été préservée, autrement dit que jamais le péché originel ne l’a marquée, à aucun moment.

Alors vous le savez bien, la difficulté de Saint Thomas et de Saint Bernard, c’était de se dire : s’il en est ainsi, Jésus a racheté tous les hommes, sauf  Marie. C’est quand même un comble. La seule pour qui Jésus n’est pas venu, c’est Marie. Ça ne va pas. Marie doit aussi être la bénéficiaire de la rédemption opérée par son Fils.

La difficulté a été levée, cela vous a sans doute été dit, par Duns Scot et l’école franciscaine, en comprenant qu’il y a deux manières dont Dieu fait miséricorde. Et ça, c’est une chose absolument essentielle. La première est une manière curative, c’est celle que nous connaissons quand nous allons nous confesser : nous avons commis des péchés, Dieu nous les pardonne, il nous fait miséricorde. Mais la deuxième manière, encore meilleure, dont Dieu fait miséricorde, c’est de nous préserver du péché. La miséricorde de Dieu n’est pas simplement curative, mais aussi, et bien davantage encore, préventive.

Autrement dit, c’est très important aussi pour nous de nous dire : quand nous ne péchons pas, rendons grâce à Dieu, à la miséricorde de Dieu, qui nous a valu de ne pas pécher. Quand Jésus meurt sur la Croix, ça n’est pas simplement pour nous pardonner nos péchés, mais c’est aussi, et bien davantage encore, pour nous préserver d’en commettre. Quand nous recevons un sacrement, le sacrement de l’Eucharistie, le sacrement de Réconciliation, ce n’est pas simplement pour nous pardonner nos péchés, c’est aussi pour nous donner la force de ne plus en commettre à l’avenir. Alors pour bien comprendre cela, j’aime à rappeler cette petite anecdote de Blaise Pascal qui, un jour, fait un voyage à cheval de Clermont-Ferrand jusqu’à chez lui. Il est encore jeune, mauvais cavalier, il tombe de cheval, et heureusement cette chute est sans gravité. Il rentre chez son père et il dit à son père : Père, Dieu m’a fait grande miséricorde aujourd’hui, puisque j’ai eu une chute de cheval, mais, Dieu soit loué, il ne m’est rien arrivé de fâcheux. Et son père lui répond : Et bien moi, mon fils, Dieu m’a fait plus grande miséricorde encore, car j’ai fait le même chemin que toi à cheval depuis Clermont et je ne suis pas tombé ! Cette petite histoire nous permet de comprendre comment la miséricorde de Dieu n’intervient pas simplement pour réparer les pots cassés. Elle est toujours prévenante, préventive, en amont. Et bien, c’est ce qu’on dit pour la Vierge. La Vierge, loin d’avoir été soustraite à la loi de Rédemption universelle par son Fils, en est la plus parfaite bénéficiaire. En elle, la Rédemption a pleinement réussi, parce qu’elle n’y a mis aucun obstacle.

Le dogme de l’Immaculée Conception nous permet aussi de comprendre que Dieu préméditait notre salut. Il y a là quelque chose de très important. Nous ne sommes pas l’objet d’une miséricorde tardive, comme si Dieu, après coup, s’était dit, comme de guerre lasse : Allez, on va aller les sauver. Non, tout l’Ancien Testament prend, avec le dogme de l’Immaculée Conception, sa consistance. En effet, qu’est-ce que c’est que cette longue histoire du salut si ce n’est la préparation de cette petite fille merveilleuse, comme dit Bernanos, dont naîtrait le Sauveur ? On dit quelquefois que l’Ancien Testament a préparé Marie comme l’huître fait sa perle. Belle image ! Et vous connaissez sans doute ce texte du romancier Bernanos qui dit : « Le monde, l’ancien monde, le douloureux monde d’avant la grâce, a préparé, de ses vieilles mains chargées de crimes, la petite fille merveilleuse de qui devait naître le Sauveur. » Voilà, et bien c’est cela, Marie, elle vient au terme de cette longue lignée, et tout l’Ancien Testament est important comme cette longue préparation divine, cette longue pédagogie divine qui amène le peuple d’Israël à concevoir cette petite fille merveilleuse, l’immaculée Marie. Je passe vite car je veux terminer à l’heure.

Il faudrait parler ici du lien entre les dogmes marials, notamment du lien entre le dogme de l’Immaculée Conception et le dogme de l’Assomption, qui en est un corollaire, comme Pie IX le disait déjà, et comme Pie XII le montrera bien dans sa bulle, qui s’appelle Munificentissimus Deus  clin d’œil, évidemment à Ineffabilis Deus. Une fois l’Immaculée Conception admise, l’Assomption ne fait plus difficulté.

Mais j’en viens à une théologie un peu difficile, c’est celle de Maximilien Kolbe. Il a été fait mention, bien sûr, des évènements de Lourdes, et de cette appellation que la Vierge se donne à elle-même : « Je suis l’Immaculée Conception ». Il y a dans cette réponse de la Vierge quelque chose d’incompréhensible, et le Curé Peyramale, qu’on a cité, était en bon droit de dire : Mais personne ne peut porter ce nom-là. Voilà ce qu’il répond à Bernadette. Une dame ne peut pas porter ce nom-là. Parce que Marie ne dit pas : Je suis conçue immaculée. Ça, on aurait pu le comprendre. Marie n’aurait fait alors que confirmer ce que le Pape Pie IX avait proclamé quatre ans plus tôt. Mais ce n’est pas ce qu’elle dit. Elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception ».

Et le Père Maximilien Kolbe, que vous connaissez sans doute, qui est mort, comme vous le savez, à Auschwitz, dans les chambres à gaz, comme un héros de la charité, en 1941, fut aussi, on le sait moins, ce qu’il appelle le chevalier de l’Immaculée. Il était franciscain, polonais, de cette école franciscaine qui avait été si importante pour la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Et il a créé la milice de l’Immaculée, il a créé un journal qui s’appelle Les chevaliers de l’Immaculée, etc. Donc il a été un grand propagandiste de l’Immaculée.

Le jour où la Gestapo est venu l’arrêter, le 17 février 1941, il a écrit un petit mémoire sur la Vierge Marie, qui est un texte tout à fait bouleversant, difficile, très théologique, où il explique précisément que Marie ne peut pas porter le nom d’Immaculée Conception. Et voilà ce qu’il dit : « A Lourdes, la Vierge Immaculée répondit à Bernadette qui l’interrogeait : « Je suis l’Immaculée Conception ». Par ces paroles lumineuses, elle exprima non seulement qu’elle fut conçue immaculée, mais plus profondément qu’elle était l’Immaculée Conception même. Ainsi autre chose est une chose blanche, et autre chose sa blancheur. Autre chose est une chose parfaite et autre sa perfection. » Comme disait le poète Charles Péguy : « et un papier blanchi n’est point un papier blanc, et un tissu blanchi n’est point une blanche toile, et une âme blanchie n’est point une âme blanche ». Marie dit bien plus que le fait qu’elle est immaculée, elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception ».

De sorte que le Père Kolbe va jusqu’à appeler Marie l’Immaculation. Et comme c’est un grand théologien, il a étudié le dogme trinitaire, et il s’est aperçu qu’au sein de la Trinité, c’est l’Esprit-Saint qui pourrait porter ce nom : l’Immaculée Conception. Et il dit : « Et bien voilà que la Vierge Marie donne le nom de son Epoux. Comme une femme prend le nom de son mari, et bien la Vierge Marie se donne le nom de l’Esprit-Saint dont elle est l’épouse. » Il a des textes très hardis, je vous les cite. C’est Saint Maximilien Kolbe, vous allez voir, certains théologiens hurleraient à entendre ça, mais ça a été en quelque sorte canonisé par l’Eglise, qui a reconnu que c’était une doctrine authentique : « Certes, la troisième Personne de la Sainte Trinité n’est pas incarnée [le Saint-Esprit ne s’est pas incarné], cependant, notre mot humain épouse n’arrive pas à exprimer la réalité du rapport de l’Immaculée avec le Saint-Esprit. On peut affirmer que l’Immaculée est, en un certain sens, l’incarnation de l’Esprit-Saint. » Heureusement qu’il y a en un certain sens ; quodammodo, aurait dit Saint Thomas. Mais voyez la hardiesse de cette théologie du Père Kolbe.

En tout cas, il rejoint le poète Péguy, il rejoint toute une série de penseurs et de théologiens qui disent que certainement l’Eglise est très loin d’avoir inventorié la richesse du trésor de révélation, qui est donné, et d’avoir compris ce que signifiait le dogme de l’Immaculée Conception dans toute sa pureté. Et là nous rejoignons ce qui a été dit déjà sur le développement du dogme, avec Newman, et, bien avant Newman, avec Vincent de Lérins, qui au Ve siècle, montrait déjà comment l’Eglise avait reçu, par révélation, un trésor extraordinaire, et qu’au cours des âges, on inventorie ce trésor et on en voit toutes les richesses et toutes les potentialités qu’on n’avait pas encore perçues jusqu’alors.

C’est ainsi qu’on peut dire que l’Eglise a inventé l’Immaculée Conception, mais en prenant inventé au sens étymologique, comme on dit que Christophe Colomb a inventé l’Amérique. Simplement, on a découvert que cela existait. C’était là, on ne le connaissait pas encore. Et bien, on peut dire que la vérité de l’Immaculée Conception, c’est déjà dans la révélation, qui est close à la mort du dernier Apôtre, mais l’Eglise ne l’avait pas encore perçu jusqu’alors, et elle s’est aperçu de cette vérité avec bonheur, et joie et exultation, au XIXe siècle, et elle en vit, jusqu’à ce jour, surtout bien sûr, dans cette paroisse.

Abbé Hervé Géniteau : Merci Guillaume de nous avoir rendu presque accessible le mystère du dogme de l’Immaculée Conception et tu nous as bien montré les implications théologiques et spirituelles qui sont sous-tendues par la définition dogmatique. Maintenant donc, la dernière intervention, celle de Monseigneur Patrick Chauvet, qui a été professeur au séminaire, il a été notre professeur à Guillaume et à moi, et il est actuellement vicaire général du diocèse de Paris. Et le Père Chauvet va maintenant nous parler des conséquences du dogme de l’Immaculée Conception dans notre vie spirituelle : est-ce que c’est important pour nous aujourd’hui de savoir que Marie est Immaculée Conception ?

IV- Intervention de Monseigneur Patrick Chauvet, Vicaire général

Je commencerai par évoquer la petite Thérèse. Elle, elle voulait être prêtre, non pas pour dire la Messe, mais pour parler de la Vierge Marie, pour prêcher sur la Vierge Marie, parce qu’elle trouvait que les curés en faisaient une déesse. Et elle disait : « Mais non, ce n’est pas une déesse, elle est très proche de nous ». Donc, j’espère que mon intervention ne va pas faire hurler la petite Thérèse et je vais essayer de vous montrer comment le dogme de l’Immaculée Conception nous rapproche finalement de Notre Dame.

En guise d’introduction, je dirai d’abord que Marie est une créature de Dieu. Et pour nous, c’est important de le dire. Pourquoi ? Parce que nous sommes des créatures de Dieu nous aussi. C’est la première chose que je voudrais dire. Marie est une créature d’exception. C’est vrai, il y a une petite différence entre Marie et nous. Mais, Marie est une créature. Je voudrais vous donner quelques pistes sur ce que veut dire une telle affirmation.

D’abord, l’acte créateur instaure une différence incontournable entre Dieu et tout ce qui n’est pas lui. C’est important que dans notre monde, on puisse aujourd’hui le réentendre. On parle de divinisation. On a beaucoup évoqué les Pères de l’Eglise. Saint Maxime le Confesseur ajoute : « divinisation hormis l’identité de nature ». Donc nous ne serons jamais Dieu.

L’acte créateur, c’est la deuxième affirmation que je voudrais vous dire, est le fondement solide de la valeur de l’être. L’être créé, il se tient face à sa source. Ce point est important. Nous avons à nous tourner vers la source. Devant Dieu, dit Saint Irénée, nous nous tiendrons debout. Ce que je voudrais aussi ajouter, c’est que l’acte créateur doit être présenté comme une victoire sur la menace permanente du néant.

Et enfin, l’acte créateur n’a pas sa fin en lui-même. Il ne se suffit pas à lui-même. C’est un acte pour une alliance, pour une alliance avec Dieu. Tout ce que Dieu crée a un avenir, a une vocation. Nous avons été créés, dit Ephésiens (14), pour être saints et immaculés, on va sans doute y revenir.

Donc Marie est une créature, comme vous et moi. Il ne faut pas taire cette affirmation, pour montrer vraiment le lien entre notre Mère et nous-mêmes. Marie est grande parce que c’est une créature assumée par Dieu, et que Dieu respecte totalement sa créature. Se pose la question naturellement de la liberté de Marie. Et comme nous sommes pécheurs, et là on voit déjà la grosse différence, nous nous posons toujours une question, à savoir : Est-ce que Marie aurait pu dire non ? Mais, vous savez, il n’y a pas que nous. Les Pères de l’Eglise se posaient déjà la question à propos de la volonté humaine du Christ. Saint Grégoire de Nazianze s’est trompé lui-même, puisqu’il affirmait que le Christ ne pouvait pas avoir de volonté humaine, parce que s’Il avait eu une volonté humaine, elle serait contre la volonté divine. Mais il s’appuyait sur sa propre expérience. Donc, pourquoi se dire : Si Marie est vraiment libre, est-ce qu’elle aurait pu dire non ? La vraie source de la liberté, ou l’essence de la liberté, elle n’est pas dans le libre arbitre, ou dans le libre choix, ce n’est pas de savoir si on peut dire oui ou non. L’essence, la source de la liberté, c’est dans l’orientation de tout l’être vers la source, vers Dieu. Et donc, Marie, elle est toute orientée vers Dieu, et donc pour elle, c’est une évidence, que dire oui est vraiment,  fondamentalement, un chemin de liberté et donc un chemin de bonheur.

On a insisté beaucoup sur le fait que Marie est sauvée, et elle est sauvée par avance, par prévention. J’aime bien dire qu’elle est sauvée par avance. Pourquoi ? Parce que, et ça, c’est, peut-être que je suis trop augustinien,…La question d’Augustin, pourquoi a-t-il bloqué, parce que c’est lui, quand même, le coupable, qui a bloqué, j’allais dire, le dogme. Mais, je vais quand même lui donner l’absolution, c’est que, nous sommes dans une période d’hérésie, avec le pélagianisme, qui remet en cause le péché originel. Et pour Augustin, puisque le salut est universel, tout être doit être sauvé. S’il y a donc un être qui n’est pas sauvé, et bien cela remet en péril le salut universel.

Donc, il a fallu en sortir, et, on l’a évoqué, c’est Duns Scot. Ça veut dire que Marie est sans doute plus sauvée, au fond, que les autres. Mais je n’y reviens pas puisque ça a été bien démontré et explicité.

Après cette petite introduction, je voudrais voir quelle est pour nous la signification de l’Immaculée dans notre vie spirituelle. Est-ce que c’est une histoire qui est belle et puis ça veut dire qu’on contemple la Vierge Marie, ce qui est déjà beau ? Ou est-ce qu’il y a quelque chose pour nous, qui touche notre propre vie ? Et bien, je dirai : quatre points.

Premier point : l’Immaculée Conception, c’est une annonce. Et d’abord, une victoire de la miséricorde. Une victoire de la miséricorde, et donc, une victoire au profit de tous. Nous sommes concernés par cette victoire. Si Marie est préservée de l’influence du premier péché, et même de tout péché, c’est bien au service de sa vocation personnelle dans le mystère du salut. Elle est sans péché pour accomplir aussi sa part dans la Rédemption, et donc c’est bien au service de notre propre libération. N’oublions pas que nous sommes déjà touchés, par ce point-là, par le dogme de l’Immaculée.

Mais sa pureté annonce quoi ? Elle annonce notre propre purification. Nous aussi nous sommes appelés à être purifiés. Nous sommes appelés à cette communion finale avec Dieu, malgré nos fautes. Nous avons été créés pour être saints et immaculés et vivre dans l’amour en présence de Dieu (Eph 14). L’Immaculée Conception nous annonce la victoire finale. C’est la victoire de la miséricorde. Miséricorde en ce monde, miséricorde au cœur de chacun d’entre nous. C’est l’annonce libératrice des temps nouveaux. Dieu détruit enfin l’égoïsme qui ferme l’homme. Ce n’est pas encore tout à fait aujourd’hui, mais ça va arriver. Marie nous guide sur ce chemin de sainteté.

Deuxième chose sur laquelle je voudrais insister, c’est que l’Immaculée Conception est un encouragement, et un encouragement dans un combat quotidien. Le Christ nous invite sans cesse à la conversion. Il s’agit peut-être d’enseigner alors le combat spirituel. Et, c’est vrai qu’il faut le rappeler, ce combat doit être présenté comme un élément essentiel de notre marche à la suite du Christ. Si nous acceptons de répondre à l’appel à la sainteté, donc si nous suivons le Christ, et c’est un thème cher aux Pères, notamment aux Pères du désert, la sequela Christi, se mettre à la suite du Christ, c’est s’engager dans ce combat spirituel. Parce que le Christ mène le combat avec nous. Si nous l’oublions, nous cédons à d’incessants délais, par exemple : « Mon Père, je commence l’oraison, comptez sur moi, demain ; aujourd’hui, c’est un peu bloqué, mais demain… ». On veut, mais on ne veut pas vraiment. Si je veux lever la main, ça marche, mais si je veux dire du bien de mon prochain, ça ne marche pas. Quel mystère ! C’est Augustin, dans les Confessions, au livre 8 (ch.IX/§21), qui finalement affirme : Je veux, parce que je veux vraiment. Tout est dans le vraiment, c’est-à-dire la question de la décision. Or, dans le combat spirituel, c’est bien une question de décision. Cela veut dire que, finalement, il faut faire appel constamment au Christ pour tenir bon dans l’épreuve. Cela vient de la Croix glorieuse. La grâce vient bien de la Croix, aussi bien notre certitude de triompher un jour que le privilège, d’ailleurs, de l’Immaculée Conception.

Donc nous retrouvons là le point positif que nous apporte aussi l’Immaculée Conception. La sainteté rayonnante de la Vierge Marie nous encourage à poursuivre le combat, surtout si nous comprenons que cette sainteté, elle n’est pas méprisante, qu’elle n’est pas froide. On s’est posé la question : est-ce que Marie avait l’impression d’être une femme un petit peu en dehors des autres ? Ce n’est quand même pas rien d’être Immaculée. Alors est-ce qu’elle aurait pu dire, vous savez, sortant sa carte : Je suis l’Immaculée. Evidemment, ça coupe le souffle. Mais non. Justement, c’est parce qu’elle est sans péché qu’elle est encore plus proche de nous. Qu’est-ce qui fait que j’ai du mal à être proche de l’autre ? C’est mon péché. Donc l’intercession de Marie est vraiment d’une proximité inouïe. On récite à la fin du Je vous salue Marie : « Priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort». Et je suis sûr que vous priez pour que Marie puisse vous donner la main le jour où le Seigneur vous appellera. Et puis si Jésus est de l’autre côté… Pour cela, il faut prier Saint Joseph ! Mais ça marche.

( – Comment vous le savez ?) – Ah, bien attendez, je n’y suis pas passé encore. Non, n’allez pas croire que je sois une réincarnation, je n’y crois pas, à la réincarnation !). Marie la toute sainte, elle intercède pour que nous soyons saints. C’est vraiment son accompagnement, son désir.

Troisièmement, l’Immaculée est un enseignement précieux. A la fois, je crois que cet enseignement montre la gravité du péché. Il ne s’agit pas de taire le péché. Mais aussi, on doit avoir un regard de croyant sur le mystère d’iniquité qui nous habite encore. Donc, je dirais, un regard sans complaisance. Je pense qu’évoquer Marie Immaculée, cela doit quand même nous aider à situer le péché face à cette réalité brûlante de la Charité de Dieu. Quand je pèche, je pèche contre cette Charité. Et le péché est une annonce aussi de cette charité qui est manifestée dans la Croix. On a évoqué Pascal : « Si tu connaissais ton péché tu perdrais cœur. » Et parfois il faut demander cette grâce au Seigneur de voir son péché. On ne le voit pas toujours. Mais un petit peu ! Le curé d’Ars, un jour, il l’a demandé, et il dit que ç’a été terrible. Montre moi alors un peu ma misère ! Voilà, je vous conseille plutôt de faire cela, parce que parfois il répond vite, le Seigneur ; et ce n’est pas la peine de déprimer non plus.

Je crois que le croyant, en tout cas, au pied de la Croix, doit voir la gravité de son péché. C’est vrai. Mais je pense qu’il faut aussi avoir un regard paisible, à cause de la victoire de la Croix. Et c’est ici que l’image de l’Immaculée est pour nous une précieuse éducatrice. Quelle que soit la gravité de notre péché, celui-ci est humain, alors que la miséricorde, elle est infinie. Et ça il ne faudra jamais l’oublier. Même si vous êtes au fond du trou, la miséricorde ira encore plus au fond pour venir vous chercher. Celui qui se place sous la lumière de la Croix ne se laisse jamais écraser par le péché, parce qu’il sait que la Croix est victoire. Marie, dans sa sainteté rayonnante, avant même qu’elle ne soit manifestée par son Assomption auprès du Christ, est l’image définitive de la victoire. Ne l’oublions pas, surtout dans le combat, surtout quand on semble un peu écrasé par son péché ou un peu déçu sur sa vie, je crois que là, on peut voir l’Immaculée, lui parler, elle nous aidera, parce qu’elle nous rappellera qu’il n’y a pas de fatalité. Ça aussi, c’est un point qui est important. Je trouve que nous sommes dans un monde où l’on vit comme dans une fatalité, comme si le péché était une fatalité. « Mon Père, je pèche ! ça fait partie de l’homme, c’est humain… » « Regardez le monde, c’est épouvantable, le monde… » C’est-à-dire qu’il n’y a plus de combat spirituel. Vous savez, on est dans la tragédie. Nous pourrions citer beaucoup d’auteurs de notre patrimoine…Mais nous ne sommes pas dans la tragédie, nous sommes dans le drame, c’est tout à fait autre chose. Je vous renvoie à Anouilh, dans sa belle pièce d’Antigone, où il présente : la jeune fille là-bas, en noir, c’est Antigone ; elle n’a pas trop de soucis à se faire, parce qu’elle sait qu’à la fin de la pièce, elle est morte ; ça, c’est de la tragédie, c’est comme ça. Mais notre histoire, elle n’est pas tragique, elle est dramatique, c’est autre chose. C’est-à-dire que dans le drame, là je pense à Giraudoux, dans le drame, on se bat. Et bien je crois qu’il faut le rappeler en tout cas aujourd’hui dans notre monde. Nous avons à nous battre.

Enfin, l’homme est radicalement incapable de donner à Dieu une réponse qui soit digne de lui, une réponse qui soit un vrai oui, nous le savons bien. Il y aura toujours une limite à notre oui. En Eglise, il y a un oui parfait, et un oui qui n’est en rien limité par le péché, c’est le oui de Marie. Et, je pense que les prêtres qui sont ici l’ont fait, en tout cas je le disais souvent aux séminaristes : le jour de notre ordination, quand on dit vraiment oui, on sait très bien que notre oui est pauvre, mais nous savons aussi que ce oui s’inscrit vraiment dans le oui de Marie, et que cela nous redonne de la force, et que si notre oui est tout petit, il devient grand parce qu’il est repris dans le oui de Notre Dame. Donc, ça veut dire que l’humanité est sauvée, qu’elle est capable d’aimer Dieu d’un amour total. Nous sommes maintenant capable d’aimer Dieu d’un amour total. Vous voyez, cette présence de Marie avec nous devant Dieu, à l’intérieur de l’Eglise, ne nous est pas extérieure. Il faut même dire qu’elle nous affecte intérieurement. On doit prendre Marie. J’aime bien le texte que nous aurons, je crois, au quatrième dimanche de l’Avent, où Joseph, par deux fois vous verrez, il y a le message de l’ange, et puis après, Joseph prend Marie. Et puis vous avez, au Golgotha : Et Jean prend Marie.

Qu’est-ce que ça veut dire, prendre Marie ? Ce n’est pas la prendre uniquement par la main, ça ne veut pas dire s’occuper d’elle, mais cela veut dire : être à l’écoute de ce que Marie peut nous dire dans notre cœur, et ce que nous avons, nous, à dire à Marie dans nos cœurs. Je crois qu’il y a un cœur à cœur qui se vit avec l’Immaculée au plus profond de nous-même. Et c’est là aussi que se vit cette maternité spirituelle qui est une maternité réelle. N’allons pas croire que c’est pieusard ! Cela veut dire que Marie, elle a dit oui au nom de tous, c’est-à-dire qu’on était tous en elle quand elle a dit son oui parfait. Et par ce oui, elle a ouvert le monde entier à Dieu, elle a ouvert le cœur des hommes à Dieu. Je crois qu’effectivement Duns Scot avait bien vu cela. Tous les hommes participent au péché originel, mais ils participent aussi, et plus originellement encore, au oui originel de la Vierge. Et ça, ça me paraît très important à redire aujourd’hui. Certes il y a le péché originel (je suis le premier à dire qu’il y a le péché originel, n’allez pas croire que je veux supprimer le péché originel, bien au contraire, il faudrait même peut-être en parler un petit peu plus), mais, je crois qu’en même temps, il faut dire, c’était l’argument de Duns Scot, que la Croix est plus originelle, ou bien si vous voulez que la grâce est plus originelle que le péché. Et là ça redonne une puissance à notre combat, et aussi une puissance à ce que nous sommes : nous avons été créés pour être saints et immaculés, et justement c’est parce que nous portons cette grâce, et que cette grâce était prévue. Donc quand Dieu nous a créés, Dieu sait qu’on pourrait au moins se poser la question : comment, mais pourquoi Dieu s’est-il mis dans une telle histoire ? Je ne sais pas si vous vous êtes déjà posé la question. Jamais ? Mais regardez, dans la Trinité, c’était quand même extraordinaire. Le Père aime le Fils, le Fils aime le Père, et dans la communion de l’Esprit-Saint, et ça tourne d’un côté et de l’autre, tout ça c’est l’amour, c’est formidable ! Et voilà qu’à un moment, on se dit : allez hop ! On va créer l’homme. Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Et nous créer libre, en plus ! Heureusement qu’Il avait prévu tous les pépins ! Parce que ça a vite commencé. Mais puisqu’Il avait tout prévu, c’est là où on voit le dessein d’amour du Père. Dans la création même de l’homme, et c’est encore un enseignement pour nous aujourd’hui, combien c’est important pour nous, on ne sait même plus ce qu’est l’homme, on ne voit même plus le projet qu’est l’homme dans le dessein de Dieu. Qu’est-ce que vous voulez ? On peut faire n’importe quoi sur l’homme. On peut tout manipuler. Voyez-vous ? N’oublions pas cette affirmation que nous avons été créés à son image et à sa ressemblance. Nous participons au oui originel de la Vierge Marie. Et donc on demande à la fin de la Messe : ne regarde pas nos péchés, mais la foi de ton Eglise, c’est-à-dire regarde-moi en tant que je suis ton Eglise croyante, espérante, aimante, cette Eglise où il y a la Vierge Marie. Paul VI dit qu’elle est la Mère de l’Eglise. Et bien, avant de recevoir l’Eucharistie, je crois que c’est bien que nous puissions dire : ne regarde pas nos péchés, mais la foi de ton Eglise, et là y mettre aussi la Vierge Marie. Nous demandons donc à Dieu finalement de nous regarder dans notre communion avec l’Eglise, ou si vous voulez, dans notre communion avec la Vierge Marie. Et ça je crois que c’est ce qu’il y a de plus extraordinaire, et c’est le fruit, au fond, du dogme de l’Immaculée Conception.

Vous êtes maintenant, grâce à ce dogme, il faut se le redire de temps en temps, victorieux. Vous êtes saints, ça c’est une bonne nouvelle, il faut que je vous le redise quand même, par la grâce sanctifiante. Et vous n’êtes plus dans une sorte de fatalité, parce que vous portez en vous les moyens pour sortir vainqueurs du combat spirituel. Et au début du combat, croyez-moi, il faut se le dire tout de suite, sinon c’est fichu, parce que sinon on va jouer avec les petits diables. Cela, c’est le rôle de la tentation : on veut toujours jouer un peu avec le feu. Et si on joue avec le feu, on se brûle. Donc, n’oubliez pas, dès que le cinéma commence, et parfois il commence trois jours avant, de se dire : le Christ est avec moi, il est victorieux de toute tentation, Marie est l’Immaculée, elle est là pour me rappeler : tu peux sortir victorieux, n’aie pas peur. Amen.

Abbé Hervé Géniteau : Merci Patrick, de nous avoir montré à quel point le dogme de l’Immaculée Conception, à quel point le fait que Marie soit immaculée dès sa conception est important pour notre vie spirituelle, en particulier dans le combat spirituel, auquel nous sommes tous affrontés, cette capacité qui nous est donnée de dire oui à la suite de la Vierge Marie, de mettre notre oui dans celui de la Vierge Marie. Voilà, il est 17 h 30 un petit peu passé, avant de nous séparer et de nous retrouver, si vous le souhaitez, à 18 h 30 pour la Messe, quelque temps de questions, posées soit au Père de Menthière soit à Monseigneur Chauvet qui viennent de parler, ou bien, puisqu’ils sont encore avec nous, à Madame Dary ou a Monsieur Hilaire, sur tout ce que nous avons entendu de riche, d’intéressant, d’important, tout au long de notre après-midi.

Dernières questions

- Est-ce qu’il y a en ce moment dans l’Eglise des discussions, des controverses, des analyses, sur des notions qui pourraient donner lieu à de nouveaux dogmes ?

- Monseigneur Patrick Chauvet : Il y avait un dogme qui chatouillait, il y aurait pu avoir un dogme,…Ce n’est plus enregistré, ça ? Parce que là, c’est fichu… tout ce qui a touché la médiation, Marie médiatrice, et, on s’était posé la question Marie co-rédemptrice. Est-ce que, au fond, le Pape aurait pu proclamer Marie co-rédemptrice ? Il ne proclamera pas Marie co-rédemptrice. C’est sans doute lié, d’abord, à toute une dimension œcuménique, pour commencer, parce que je pense que ça ne ferait sûrement pas plaisir à nos amis protestants, qui ont du mal aussi, au niveau déjà de l’expression Marie médiatrice, ces expressions qu’on a peut-être évoqué au XIXe siècle, où on était friand de toutes ces expressions, qui en soit ne sont pas mauvaises. Si on explique qu’il n’y a qu’un seul Médiateur, on peut très bien aussi montrer comment se vit la médiation de la Vierge Marie, qui ne se met jamais à la place du Fils. Mais, quand on disait Marie médiatrice, c’est qu’elle était là pour nous aider à collationner les grâces et donc nous conduire vers le Fils, le Fils nous menant vers le Père, c’est évident. Marie co-rédemptrice, ça pourrait être interprété comme deux rédempteurs, ce qui est un peu embêtant, il n’y a qu’un unique Rédempteur. On voit en ce sens pourquoi certains auraient aimé le titre de co-rédemptrice, c’est pour montrer l’importance du Fiat de la Vierge Marie, qu’effectivement elle fait partie intégrante du mystère du salut, puisqu’elle a quand même dit oui, et je vous l’ai dit, en toute liberté. Son passage, sa vie, la présence de Marie dans la Rédemption, elle est aussi, j’allais dire, essentielle. Mais, l’Eglise, je comprends que c’est la position du Pape, Marie ne peut pas être co-rédemptrice, en ce sens qu’aujourd’hui on penserait qu’il y a deux rédempteurs. On a plutôt insisté sur le fait qu’il n’y avait qu’un unique Sauveur et un unique Rédempteur. Voilà une des discussions qu’il y a eu. En revanche, puisque j’ai évoqué un petit peu la question œcuménique, le Pape, dans Orientale Lumen, a voulu montrer combien la théologie mariale était sûrement un chemin privilégiée pour un chemin œcuménique, et donc je crois que nous avons avancé sur ce chemin, et que Marie a sûrement une place de choix. Alors qu’on aurait pu croire que Marie est là pour bloquer, elle ne bloque pas, bien au contraire, elle est sûrement un chemin qui nous mettra dans la lumière.

Voilà par exemple sur un des débats, mais il y beaucoup d’autre débats, sur comment être sauvé, est-ce la foi ? Mais alors, est-ce qu’il y aura d’autres dogmes ? Ça, il faut demander à l’Esprit-Saint, parce que vous avez bien compris que c’est l’histoire de l’Esprit-Saint.

- Je crois que je n’ai pas bien compris pourquoi le dogme de l’infaillibilité pontificale avait été promulgué après le dogme de l’Immaculée Conception,
et s’il y a un rapport entre les deux ?

- Monsieur Yves-Marie Hilaire : Il y a deux choses différentes. Il y a d’une part la réflexion de Newman disant que le développement doctrinal implique l’infaillibilité de l’Eglise (je ne suis pas sûr qu’il ait eu une idée très précise sur l’infaillibilité du Pape seul en 1845). Mais le dogme de l’infaillibilité du Pape, sans qu’il y ait obligatoirement un accord sollicité de l’Eglise, a été défini par Vatican I. Donc c’est une définition très importante, mais elle se situe seize ans après l’Immaculée Conception. Ce que je voulais simplement dire, c’est sur la façon dont le Pape Pie IX s’y était pris pour définir l’Immaculée Conception dans la Bulle elle-même, il ne précise pas que les évêques étaient d’accord, il ne fait pas allusion à cette consultation, bien qu’elle ait eu lieu, et que les évêques soient présents, et aient discuté les termes mêmes de la Bulle, et aient amené à la modifier un petit peu par rapport au projet. Je crois qu’il y a eu huit projets de définition avant d’aboutir à une définition, donc tout cela a été longuement discuté, et ce n’est pas le Pape seul qui a fait la définition. Mais c’est lui qui l’a portée et qui en a pris la responsabilité.

- Nos petits-enfants et arrière petits-enfants ne sont pas baptisés, et nous croyons bien de respecter cette décision à cause de leur liberté. Alors est-ce que l’Eglise ne pourrait pas nous encourager, à défaut de baptême, qui, j’espère, sera demandé, sera cherché, à les offrir à la Vierge Marie, en raison de notre amour pour elle, de notre grand désir d’un baptême futur, pour nous délivrer du poids très lourd que nous avons, arrière grands-mères et grands-mères, devant l’indifférence épouvantable d’aujourd’hui?

- Monseigneur Patrick Chauvet : Ah. Alors. Vous voulez que je dise quelque chose ? D’abord, il y a quelque chose d’important, c’est que, quand on parle du baptême des petits enfants et que, au nom de la liberté,…il faut se méfier de ce terme justement de liberté. C’est-à-dire que, si on veut vraiment qu’ils soient libres, il faut donner les éléments pour qu’ils vivent cette liberté. Quand je vois des parents qui me disent : on hésite, ils faut qu’ils choisissent. Mais pour choisir, encore faut-il connaître. Donc, s’il y a encore une éducation religieuse extraordinaire, et qu’à la fin, l’enfant puisse choisir, là au moins, il aura les éléments. Malheureusement, c’est souvent qu’il n’y a rien du tout, et donc il n’y a plus de choix possible. Alors, maintenant, est-ce que nous pouvons offrir ou demander à Notre Dame, et que l’Eglise encourage qu’on puisse offrir nos petits-enfants et arrière petits-enfants pour qu’un jour la grâce soit vraiment efficace dans leur cœur, et bien naturellement. Il n’y a même pas besoin que l’Eglise l’encourage, parce que l’Eglise elle le dit à chaque fois. L’intercession de la Vierge Marie, ce n’est quand même pas rien. Donc offrir vos enfants et petits enfants, croyez-moi, ce n’est pas du temps perdu, bien au contraire. C’est-à-dire que Marie demeure, et elle est, la mère de vos petits-enfants, même s’ils ne sont pas baptisés, parce qu’elle est justement là pour les accompagner, les mener vers le Fils, donc il faut au contraire lui les confier. Enfin c’est ce que je dirais, personnellement. Enfin, vous savez comment ça se passe ? Bon, je vais vous dire comment ça se passe, vous expliquer. Ça c’est Saint Bernard qui raconte ça, mais je vais vous le raconter avec mes mots. Quand vous avez des dossiers compliqués comme cela, et il y en a, je suis sûr qu’ici on a tous des dossiers. Comme on est à l’Immaculée Conception, on va quand même mettre le paquet. Bon, vous préparez votre dossier, et puis vous l’envoyez à la Vierge : « Fais quelque chose ». Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle, elle rentre dans le bureau. Il y a un grand bureau vous savez. Et Jésus est là, il travaille, parce que Jésus, il est là pour travailler. Et alors, quand il voit sa Mère, il est bien élevé, il se lève. Parce que c’est la Reine Mère. Marie est Reine, ce n’est quand même pas rien. Et quand on accueille la Reine Mère, on se lève. « Qu’est-ce que vous voulez ? – Bien voilà, aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il se passe dans une paroisse de Paris, mais il y a quand même un certain nombre de dossiers qui viennent d’arriver. Oh, je crois que c’est quand même important, il faut faire quelque chose, parce que vraiment ce sont des enfants du Seigneur extraordinaires. Donc je crois qu’il faut que Vous fassiez quelque chose. » Alors elle dépose tous les dossiers. Vous êtes bien placés à ce moment-là, vous savez. Quand on est avec Jésus, il sort son stylo, naturellement, et il signe. Et il signe tous les dossiers. Et qu’est-ce qu’il fait ? Attendez, ce n’est pas terminé. Il prend tous les dossiers, et il va voir le Père. Ah bien pour que ça marche, il faut aller jusque-là. Et il dit : « Mon cher Père, voilà, encore du travail aujourd’hui. » Et ça marche. On va voir. Essayez ça. C’est Saint Bernard qui raconte ça, pour montrer la force de l’intercession de la Vierge Marie. C’est-à-dire quand on lui confie quelque chose, elle est aussi têtue. Et donc, elle veut absolument que le dossier passe. Le problème, il y a un seul problème, c’est qu’il y a beaucoup de dossiers. Mais il faut être patient. Pour répondre à votre question, je crois qu’on a effectivement intérêt à confier encore un petit peu plus à la Vierge Marie, à son rôle de maternité spirituelle. Ce n’est quand même pas rien que le rôle d’une mère. Pourquoi est-ce qu’on est consacré, ici tout le monde a été, j’imagine, consacré à la Vierge Marie, ce n’est quand même pas rien. Quand nous sommes protégés, et quand on relit un peu notre histoire, il y a des moments où on se dit : Comment se fait-il qu’on soit protégé comme ça, dans des situations ? C’est Marie.

- Abbé Guillaume de Menthière : Ce que je voulais simplement ajouter, c’est que Marie n’attend pas qu’on la prie pour intercéder en notre faveur. L’exemple est à Cana. A Cana, personne ne lui a demandé d’intervenir. Peut-être que le maître de la noce ne s’est même pas aperçu qu’il n’y avait plus de vin. Mais Marie, elle, l’a vu. Et donc, si elle intervient en faveur de ceux qui ne la prient pas, que fera-t-elle en faveur de ceux qui la prient ?

Abbé Hervé Géniteau : Et bien écoutez je vous propose que nous remercions encore Madame Dary, Monsieur Hilaire, le Père de Menthière et Monseigneur Chauvet pour leur participation à ce colloque. Grâce à vos quatre interventions, nous sommes entrés davantage au cœur du mystère de ce dogme, que malgré tout, toute parole n’épuisera jamais. Une étape qui nous prépare à célébrer, mercredi prochain, le cent cinquantième anniversaire du dogme. …

Homélie prononcée par l’Abbé Géniteau, curé de la paroisse,
à la Vigile de la Solennité de l’Immaculée Conception
le mardi 7 décembre 2004

Sur Jean 2, 1-11

Cet évangile des noces de Cana nous fait une fois encore contempler la Vierge Marie. Les noces de Cana, c’est l’une des dernières scènes de l’Evangile où Marie est présente. Il faudra attendre la Passion pour la retrouver. Marie est présente à ce repas de noces, comme elle sera présente aux noces de l’Agneau, au pied de la Croix.

Dans l’Ecriture, l’Alliance de Dieu avec son peuple est décrite comme une relation d’épousailles, que seule l’union de l’homme et de la femme peut évoquer. Il est donc logique que le premier signe accompli par Jésus ait pour cadre un repas de noces.

« La mère de Jésus était là », nous dit Saint Jean. Elle est nommée la première. Sa venue précède celle de son Fils. Et elle n’est pas appelée par son prénom « Marie », mais elle est appelée « la Mère de Jésus ». C’est pour signifier que sa présence n’a de sens que par rapport à son Fils.

A ces noces, le vin vient à manquer. Elle est attentive et présente à tous. Elle s’adresse à son Fils : « Ils n’ont plus de vin. » Elle s’adresse à lui avec une supplication maternelle. Marie se fait profondément le porte-parole de tout son peuple. Le vin des noces anciennes est épuisé. Le vin que Jésus donne est celui de la Nouvelle Alliance dans laquelle tout homme est appelé à entrer. Et Marie est au seuil de cette Nouvelle Alliance. Aux serviteurs du repas, elle désigne son Fils Jésus en disant : « Faites tout ce qu’Il vous dira. » Et puis, d’une certaine manière, Marie s’efface. Elle veut nous faire comprendre combien il est bon de se soumettre totalement à Jésus. C’est là que réside la source du vrai bonheur. Cette soumission à la volonté de son Fils est pour Marie la source du vrai bonheur. Elle veut que ce soit aussi le nôtre. Elle a commencé par intercéder pour des biens matériels. Elle communique maintenant comme son testament : en s’écartant, elle nous pousse en avant pour que nous aussi, nous obéissions à tout ce que Jésus nous dira de faire.

Marie transforme la demande de biens matériels en don de la proximité avec son Fils. A cause d’elle, Jésus opère son premier miracle. Et ce miracle manifeste la gloire de Jésus. Ce premier miracle, auquel Marie coopère d’une manière si effacée a comme fruit propre la foi des disciples. « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana en Galilée. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Cana manifeste à la fois la mission divine du Christ et sa toute-puissance, et le lien mystérieux qui l’unit à Marie, ou plutôt qui unit Marie à sa mission.

A la suite de Marie, nous sommes chacun unis à notre manière et selon notre vocation à la mission de Jésus. Jean-Paul II nous dit que « la Mère de Dieu est la figure de l’Eglise dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ », « Marie est donc présente dans le mystère de l’Eglise comme modèle ».

Marie nous apprend ce qu’est le véritable amour. Dans la mesure où, refusant de se replier sur lui-même, le Chrétien se laisse conduire de la Mère vers le Fils, il est obligé de se décentrer pour tendre vers celui que lui présente Marie. Le Chrétien reprend ce qui est l’axe de vie de Marie : se déposséder de soi pour se conformer au Christ. « Faites tout ce qu’il vous dira. »

Dans un instant, nous allons entrer dans la prière de l’adoration du Saint Sacrement. Que ce soit pour chacun l’occasion d’entendre le Christ nous inviter à le suivre. Rappelons-nous les mots de Marie : « Faites tout ce qu’il vous dira. »

Amen !

Homélie prononcée par Monseigneur Michel Pollien,
évêque auxiliaire de Paris, vicaire général,
à la Messe de la Solennité de l’Immaculée Conception
le mercredi 8 décembre 2004

Dès lors que l'on appela Marie "Mère de Dieu" au Concile d'Ephèse en 431, l'Eglise en médita longuement les conséquences.

C'est ainsi que cela se passe dans notre Eglise. Elle mûrit sa foi, elle l'exprime dans la prière et la piété populaire, comme le dit Mgr Perrier, Evêque de Tarbes et de Lourdes. «Le dogme exprime ce que l'Esprit Saint a progressivement révélé à l'Eglise».

C'est pourquoi, très tôt, Marie fût fêtée et honorée de diverses manières.

Marie est enfin proclamée solennellement à travers une décision de l'Eglise que nous appelons une bulle: Ineffabilis Deus, le 8 décembre 1954, en voici le texte:

« Nous déclarons, prononçons et définissions que la doctrine qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout Puissant, en vu des mérites de Jésus Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché original, est une doctrine révélée de Dieu, et qu'ainsi elle doit être crue fermement et constamment pas tous les fidèles ».

Nous le savons, quelques années après, le 24 mars 1858, la Sainte Vierge apparaissait à Bernadette Soubirous en disant, « Je suis l'Immaculée Conception ».

Il convenait donc, que celle qui allait porter en son sein le Fils de Dieu, fût préservée de tout péché par une grâce venant déjà de la mort de son Fils.

Ainsi Dieu, pour accomplir le mystère inouï de l'Incarnation, que nous fêterons bientôt à Noël, Dieu se fit-il une demeure digne de lui par la conception, la naissance, la vie immaculée de la Vierge Marie.

Cette grâce, faite à Marie nous plaît, comme d'ailleurs celle de son assomption, parce qu'elle honore notre humanité en lui assurant que rien n'est impossible à Dieu.

Les hommes, souvent enclin à discuter, à raisonner, à justifier, ou à dénoncer, les hommes, du moins ceux qui sont simples de coeurs, sentent combien il est doux d'avoir une telle mère, une telle soeur en humanité, comme Marie.

Confusément parfois, ils peuvent y lire en espérance, une perspective splendide pour leur propre vie, marquée par l'épreuve, la souffrance et l'interrogation sur le sens même de leur vie.

Pourquoi finalement Marie est-elle à la fois si unique et si proche de nous ?

Pourquoi tant d'hommes et de femmes se tournent-ils vers elle pour lui demander de les soutenir, comme on le fait à quelqu'un de confiance, pour lui demander de leur prendre la main et de les conduire à Dieu.

Pourquoi font-ils volontiers brûler un cierge devant son image?

Pourquoi font-ils pèlerinage auprès d'elle?

Je crois que c'est à cause de sa co-naturalité avec nous.

Elle s'y connaît Marie en matière de vie humaine !

Fille d'Israël elle est bien enracinée dans un peuple, une famille, une lignée, un village.

Marie nous plaît parce que nous-mêmes avons besoin d'avoir des racines, des solidarités.

Femme bouleversée, interrogée, elle nous dit ce que peut être notre vie, pleine d'interrogations, où souvent les événements nous bouleversent comme pour elle.

Mère aimante et douce, elle donne la vie. Elle a cette expérience que tant de femmes veulent vivre pour se réaliser pleinement.

Marie de Nazareth avec Joseph et Jésus. "Il leur était soumis", ceci en dit long sur le bonheur de la famille dont tant d'hommes de femmes, de jeunes, d'enfants ont besoin.

Marie à la fête, Marie à la joie, à Cana, par exemple elle vit cette fête comme nous-mêmes aimons les vivre.

Marie à la souffrance, au pied de la Croix, déchirée elle-même de la souffrance de son fils, communiant à la passion de son enfant, comme ces mères, qui accompagnent le long crucifiement de leur enfant qui meurt.

Marie aussi, pour la grande aventure de l'Eglise à Pentecôte, pour l'audace d'entreprendre, de prendre part à cette belle aventure, telles que certaines nous font rêver d'en être partie prenante.

Alors scandaleuse cette Immaculée Conception, qui ferait de Marie un mythe lointain ?

Plus que jamais Marie nous semble proche. Elle est l'honneur de l'humanité, elle est l'espérance devenue réalité. Pleine de grâce, sa grâce touche chacun d'entre nous. Sa perfection est pour nous un signe, un appel. Sa disponibilité est pour nous un exemple. Rien n'est impossible à Dieu, pour elle comme pour nous.

Aujourd'hui l'humanité est en fête, aujourd'hui l'Eglise est en fête.

Marie pleine de grâce tu es bénie entre tous.

Notes

[1] "Deus qui beate Marie uirginis conceptionem angelico uaticinio parentibus predixisti..."

[2]« Potuit plane, et voluit ; si igitur voluit, fecit »

[3] A. NOYON, "Notes biliographiques", Bulletin de littérature ecclésiastique, mai 1914, p.213.

[4] "Ortum" dit le texte; c'est à la fois le commencement et la naissance. Même en admettant qu'il faille traduire ce mot par "naissance", on ne peut y voir la doctrine de la sanctification , la suite de la phrase étant en contradiction totale avec cette pensée.

[5] "Quam ante ortum ita sanctificasti, ante conceptum sic Sancti Spiritus illustratione et uirtute altissimi obumbrasti".

[6] Cité dans le D.T.C., t. 7, col. 1067; et par WADDING, Annales minorum, t.IV, p. 218.

[7] Lettre au Rév. E.B. Pusey à l’occasion de son Eirenicon (1864), Titre 3, § Sa sainteté.

[8] Poème Eve et Marie, strophes 3 et 4.